Destination le Limousin : Saint-Junien, une cité gantière envoûtée par la noblesse du cuir (1/3)



Reportage. Le cuir dans la peau des Saint-Juniauds | Aquitaine | édition des Portes du Cuir 2022, événement phare de la filière du cuir à Saint-Junien

Le 3 Juillet 2022

reportage par Stéphanie Bui, cuir, EgonLab X Agnelle
(c) EgonLab X Agnelle

Le Bœuf Rouge, le nom de l’hôtel à Saint-Junien où je logeais à l’occasion de l’évènement phare les Portes du Cuir en Aquitaine, annonçait, d’emblée, la couleur régionale de ce bout de Limousin intimement lié aux métiers de la ganterie : dans cette ville aux 12 000 habitants, communiste de toujours où est né, dès 1869, le mouvement coopératif que les ouvriers du cuir rejoignirent en 1902, la noblesse du cuir serait portée, haut et fort, par sa riche histoire de la maestria ouvrière, artisanale, et entrepreneuriale. Envers et contre tout. Une ville à présent labellisée Ville et Métiers d’art où le savoir-faire repose sur la transformation millénaire d’un déchet alimentaire en un produit de qualité, recyclé et ennobli : le gant de peau. « Belle bête, belle peau » dit le diction. Car, rappelons que les métiers du cuir appartiennent à la filière agro-alimentaire. Ce qui échapperait donc au 54% des Français de 18-24 ans pour qui le cuir n’est pas issu de la peau animale (étude sur la perception du cuir par les Français – Conseil National du Cuir 2021). Pour eux, le cuir, c’est un « alter cuir », une matière végane, pour la plupart contenant du plastique toxique. De quoi contraster avec la fierté et le goût des Saint-Juniauds pour les pièces de bœufs limousins contribuant à la réputation gastronomique française à l’étranger. La riche architecture médiévale de la ville (la maison des Consuls, la chapelle Notre-Dame-du-Pont, et les vestiges de l’abbaye de Saint-Amand), ses bucoliques bords de Glane où le peintre Jean-Baptiste Camille Corot puisait son inspiration feraient presque passer Saint-Junien pour une petite ville tranquille où il fait bon vivre, hors du temps. En somme, oublieuse de sa vocation de cité ouvrière. Or, il n’en est rien, nuance Jérôme Alran, responsable du restaurant Le Bœuf Rouge. « C’est calme parce que c’est lundi, que tout est fermé, car c’est une ville communiste, argue, taquin, l’heureux Saint-Juniaud d’adoption depuis sept ans. « Je suis en restauration, c’est donc un autre monde ; on sent que le gens sont plus calmes et tranquilles. Ils vivent à un rythme différent du nôtre. Mais dès qu’il y a une grève nationale, ici, il y a la grève, c’est sûr. On a vu peut-être 2000 personnes défiler pour les retraites et les gilets jaunes, c’était énorme proportionnellement à la population. » « Moi, je prends du recul », confie le restaurateur amusé par l’idée que sa ville d’élection soit communiste. Plus rien ne semble l’étonner après ses dix ans de saisons à St-Tropez, Courchevel, puis en Suisse et dans le Jura. A présent, à Saint-Junien, aux portes du Parc Naturel Régional Périgord Limousin, c’est comme un coq en pâte qu’il mène sa vie. « Franchement, c’est une région exceptionnelle pour la qualité de vie : on est une petite ville, et on a tout. On n’a pas besoin de monter à Limoges, ou ailleurs, pour trouver ce qu’on veut. C’est vert, il y a des animaux partout, de l’eau. Voilà, ça me suffit. Je viens du Jura. Ça me rappelle le Jura, mais sans les montagnes. »

 

saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture
Le pont ferroviaire sur la Vienne et l’abbaye Saint-Amand. (c) Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel (c) Ville de Saint-Junien

 

saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture
de haut en bas, de gauche à droite : de la Bourse du Travail en 1926 au Ciné-Bourse / le site Corot, trésor naturel patrimonial / sur les bords de la Vienne où se trouvent les friches industrielles des métiers du cuir / La collégiale de Saint-Junien, l’une des plus grandes et des plus anciennes églises romanes limousines dont les premières pierres furent posées au XIème siècle / Hotel The Originals Saint-Junien Le Boeuf Rouge / La Mégisserie, une Maison des Arts pluridisciplinaire. A l’origine, ces anciens abattoirs laissés en friches furent réhabilités, agrandis et transformé en une bâtiment contemporain par l’architecte Maria Godlewska

De Saint-Junien à Beyoncé

Pour les touristes de la région, visiter la manufacture du gantier Agnelle est une destination incontournable, poursuit Jérôme Alran, habitué à renseigner ses clients du restaurant. « On a des gens qui viennent spécialement à Saint-Ju pour visiter la ganterie Agnelle, et la maroquinerie Daguet ». Dans la région, tout le monde sait que la ganterie Agnelle, fondée à Saint-Junien en 1937, fournit de grands noms de la mode. Une part de rêve qui attire. La magie opère sans relâche. Cela fait plus d’une vingtaine d’années que l’atelier de Agnelle ouvre ses portes aux visiteurs guidés par l’office du tourisme local. « C’est un vraie chance, assure Amel El Malah, chargée de promotion et communication, à l’Office de Tourisme Porte Océane du Limousin. Cela permet de rencontrer des ouvriers aux savoir-faire de haut vol. Pendant les périodes de défilés, on sent que l’atelier est en tension. On sait que les gants sont destinés à tel ou tel défilé. Evidemment tout est cadré, on n’a pas le droit de prendre de photos à ce moment-là. » Cerise sur le gâteau : « Le hasard fait parfois qu’on se retrouve à l’atelier quand sont en préparation les gants destinés à Beyoncé pour son concert à Paris, ou ceux de Madonna pour le Super Bowl. Les visiteurs peuvent alors approcher le savoir-faire de près, voire toucher le gant que Beyoncé va porter, rapporte, amusée, Amel El Malah. Surtout, les visiteurs sont ravis de voir que le savoir-faire de la ganterie est concret ».

Quant à la plus ancienne manufacture dédiée à la fabrication du gant de peau, en France, l’ancienne ganterie coopérative, créée en 1919, elle se trouve à Saint-Junien. Acquise en 1998 par Hermès, elle renaît par la création d’une maroquinerie.  Le site sera renommé « la ganterie maroquinerie de Saint-Junien », l’unique manufacture de ganterie de Hermès. Au grand dam des amateurs du cuir saint-juniauds et d’ailleurs, elle ne se visite pas ! N’empêche, de près ou de loin, chacun a sa petite histoire avec Hermès dans cette ville du cuir où plane l’aura de la discrète maison parisienne dont l’histoire à Saint-Junien remonterait aux années 1920. La ganterie Codet et Teilliet fournissait alors des gants à Hermès, selon les registres des années 1900 – 1920 de la ganterie consultés par Frank Bernard, ancien professeur d’histoire, intarissable puits de savoir sur l’histoire des métiers du cuir à Saint-Juniaud, également président de l’association La Société des Vieilles Pierres. Et l’une des références en la matière, aux côté de Blandine Lamy, assistante chef de projet « Cité du Cuir » et responsable du service Pôle Cuir, à la Communauté de communes Porte océane du Limousin, et de Jérôme Decoux, chargé du patrimoine industriel au service de l’inventaire du patrimoine, en région Nouvelle-Aquitaine. Ensemble, ils ont œuvré à l’inventaire au riche patrimoine industriel local à la demande de la Ville de Saint-Junien, en vue de la très attendue future Cité du Cuir à Saint-Junien.

Au milieu de quoi, la cité gantière revendiquant son statut de capitale du gant de peau, fière de sa renommée dans la mode, continue de faire vibrer l’âme de ses habitants.

« Saint-Junien a doublé Millau, et ça, pour nous, c’est un titre de gloire ! »

L’ombre de Millau, l’autre cité gantière, la concurrente, n’est jamais très loin. Et réveille les passions. Dans les années cinquante, les gants de Millau étaient plus connus que ceux de Saint-Junien, reconnait, beau joueur, Frank Bernard. « On fabriquait plus à Millau qu’à Saint-Junien, c’est vrai ; les entreprises étaient plus grandes à Millau qu’à Saint-Junien, c’est vrai, mais surtout, à Millau, ils étaient plus malins : ils ont su faire une maison du gant, eux, il y a cinquante ans ! », s’enflamme le Saint-Juniaud, marqué par sa rencontre avec une figure de la ganterie de Millau, Monsieur Causse, grâce à son épouse, alors secrétaire de la Chambre syndicale des fabricants de gants de Saint Junien. La ville est dite « capitale du gant de peau », parce qu’effectivement « c’est à Saint Junien qu’on fabrique le plus de gants. Les Saint-Juniauds en sont très fiers, parce que, pendant très longtemps, c’était Millau qui nous devançait. En réalité, la production de gants à Millau a beaucoup diminué, comme chez nous aussi ; mais chez nous, elle a moins diminué que chez eux, plaisante l’heureux saint-juniaud. Du coup, on est devant eux ! »

Cela fait trente ans que le passionné s’intéresse à la ganterie. « C’est le mélange de mon goût pour l’histoire, mon attachement à ma ville natale, à Saint-Junien, à mes racines familiales, et le désir que Saint-Junien utilise ses richesses ; petit à petit, j’ai mis le doigts dans l’engrenage, et je me suis passionné pour ce sujet. J’y passe beaucoup de temps, avec plaisir ». « C’est un beau métier, s’émerveille-t-il, car il est très visuel, pas tellement par son travail de la couture dont l’habilité peut être retrouvée dans d’autres métiers, mais par le travail des coupeurs qu’on appelait des « artistes » en ganterie. La matière qui va être petit à petit étirée, mise en forme, découpée : c’est assez joli à voir ». Une beauté visuelle dont le passionné se nourrit au quotidien. Sa maison regorge de pièces de collections issues du monde de la ganterie : une précieuse paire de gants délicatement exposée sur une table dédiée, des boîtes à gants posées ici et là, de rares pièces d’archives, traces d’un glorieux passé de la ganterie Saint-Juniaude, prêtes à resurgir. Comme cette publication du magazine Life consacrant un reportage aux ateliers de Roger Faré, que l’historien souhaite réhabiliter. « Un patron moderne » qui fit connaître la cité gantière aux Etats-Unis où il s’était rendu dès 1906, paré de son slogan « les plus beaux gants du monde », prêt à vendre la French Touch. Très connu, Roger Faré était en contact avec la haute couture. « Il avait l’exclusivité de gants pour Hermès » précise l’historien. Une nouveauté alors pour une ganterie saint-Juniaude, car le marché parisien de la ganterie était surtout occupé par Millau. L’entrepreneur ouvrira un showroom rue du Faubourg-Saint-Honoré, vendra dans des boutiques parisiennes, entrera en relation avec des grandes marques, et fera rayonner la petite ville à l’international.

Cette passion de l’historien pour la reconstitution de la mémoire du savoir-faire de la ganterie de sa ville natale n’est peut-être pas tout à fait étrangère à son histoire à lui : fils d’un « patron gantier », le Saint-Juniaud confie déplorer l’absence de traces et d’archives de son père à l’oeuvre à l’atelier.

saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture

« A Saint-Junien, la ganterie est liée à la famille, toujours des histoires de famille »

Comme de nombreux Saint-Juniauds, Frank Bernard a baigné dans le monde de la ganterie dès l’enfance. Dans la maison familiale, les ateliers se situaient à l’étage du dessous. Car son père était un « patron gantier » : « pas un patron dans son bureau ». Il était patron, mais il coupait les peaux. La maison comprenait aussi un atelier avec les couturières. « A l’époque, se remémore-t-il, je n’étais pas conscient que la ganterie, c’était extraordinaire ! Mon père n’a jamais voulu qu’on fasse gantiers, car dans les années soixante-dix, l’industrie traversait une période difficile. Il nous a dit à mon frère et moi : « Faites fonctionnaires ! », alors qu’il n’aimait pas du tout les fonctionnaires. » Frank et son frère suivront les conseils du père. « On a presque des regrets, confie-il, parce qu’on se dit que l’outil de travail et l’entreprise existaient. C’est comme ça, la vie est ainsi faite. »

Effectivement, au sein des générations précédentes, de nombreuses familles ne vivaient que de la ganterie. Elle se transmettait de père en fils : le mari, la femme, les frères, les enfants ; ce qui permettait d’embaucher les hommes pour le travail de la coupe, et beaucoup de femmes pour le travail de couture, de finition et de fantaisie, selon une spécificité : l’essentiel du travail se déroulait à domicile. Se constitueront des dynasties de ganteries familiales. L’emblématique ganterie Agnelle, dirigée aujourd’hui par Sophie Grégoire, est issue d’une riche histoire entrepreneuriale familiale autour d’une lignée de femmes. Un pépite entrepreneuriale au féminin qui détonne dans le paysage de la ganterie saint-juniaude.

 « des entrepreneurs extraordinaires »

Originellement porté par l’essor de la ganterie, le destin de la petite ville de Saint-Junien fut transformé en une éblouissante réussite industrielle grâce à des « entrepreneurs extraordinaires ». Les réhabiliter dans l’histoire de la ville reste un objectif pour l’ancien professeur. Car, en amont, la filière du cuir comprenait la mégisserie (peaux souples pour la ganterie) et la teinturerie, des activités industrielles. Vers 1900, Saint-Junien accueillait sa première cité industrielle de mégisserie en France, alors que la ganterie à Saint Junien n’a jamais vraiment été une activité industrielle. L’historien encense, entre autres, Lucien Dumas et François Raymond. C’est l’association d’un politique, futur maire de Saint-Junien, avec le contremaître de l’entreprise passionné de métiers, issu d’un milieu modeste. La maison Dumas et Raymond, fondée vers 1870, est la première mégisserie industrielle, longue de 600 mètres, accueillant plus de 400 ouvriers. Présente aux expositions universelles de 1878 et 1889, elle y est récompensée. Elle met au point de nouvelles techniques optimisant le traitement des peaux. Par exemple, alors que les mégisseries traditionnelles travaillaient directement dans la Vienne où l’on raclait les peaux, ce qui les rendait dépendant du niveau d’eau du fleuve, François Raymond décalera l’usine. Il pompe l’eau dans la rivières et dans d’autres sources pour avoir de l’eau en permanence. Le travail à l’année devient possible. Ainsi l’industrialisation de la ganterie changera le destin de Saint-Junien, dépassant son statut de petite ville de province. Sa population doublera entre 1850 et 1900. Son statut de ville gantière s’imposera par la réputation de plusieurs ganteries exportant à l’international comme Rigaudy et plus tard, la ganterie coopérative amenée, plus tard, à renaître entre les mains de Hermès.

Mégisserie Dumas et Raymond, puis Léonard Braud, puis usine de décolletage Dauxin-Fribourg, puis usine de confection Bloch, puis entrepôt commercial Neumont, puis usine de teinturerie et mégisserie André Granet, puis mégisseries du Limousin, actuellement Perrin. photographe : Rivière Philippe (c) Région Limousin, service de l’Inventaire et du Patrimoine culturel
saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture
Mégisserie Desselas, fondée en 1875, l’une des deux plus grandes mégisseries avec celle de Dumas & Raymond, puis société anonyme des mégisseries du Limousin, puis Bourbonnaise, puis Pommiès, et usine de teinturerie H. Jourdain. photographe ; Rivière Philippe Rivière Philippe. (c) Région Limousin, service de l’Inventaire et du Patrimoine culturel

Aujourd’hui, la ganterie est encore « vivace », rassure Frank Bernard, même si l’on est très loin de ce qu’elle était il y a encore cinquante ans. Elle fut marquée par la désaffection pour le gant, le changement de mœurs et de la mode. Jusque dans les années soixante-dix, la ganterie faisait travailler 2000 personnes. Au début des années soixante, ne restait qu’une quarantaine d’entreprises plus modestes, familiales, puis dans les années 90, une dizaine, qui se réduisent à trois entreprises de ganterie en 2000.

Après trente ans de travaux sur le patrimoine industriel de sa ville, le monde de la ganterie saint-juniaude ne lui a pas encore livré toute sa richesse. Comme ce mystère à résoudre qui le turlupine : pourquoi donc des gants sur mesure étaient proposés par les magasins de gants à Saint-Junien, compte tenu des techniques brevetées en 1830 ayant mis au point le système des pointures allant jusqu’au quart de pointure, et qu’il était déjà très difficile de les enfiler tellement les gants étaient ajustés… ?  C’est bien là une question de passionné du gant de peau !

Si elles étaient légion dans la cité gantière, les voix des Saint-Juniauds à même de témoigner du travail en vrai de la noble matière se raréfient. Cependant, on peut encore rencontrer des aînés dont l’histoire témoigne de la vraie vie du travailleur. Parmi eux, Madame Dupuy qui fut gantière, puis formatrice en cuir. La dame de 83 ans a 40 ans de métier. Et la passion du cuir persistante.

saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture
(c) agnelle
saint-junien, reportage par Stéphanie Bui, cuir, the daily couture
(c) agnelle

 « Les études ne me plaisaient pas. J’ai dit : non, je veux travailler, moi je veux faire des gants ! »

A 17 ans, en 1956, Renée Dupuy commençait à apprendre le métier, contrairement aux recommandations de ses parents. A quoi ils lui rétorquèrent : « Fais tes gants, mais tu verras, tu t’en mordras les doigts ! » « Mais j’ai fait ce que je voulais. C’était le goût du cuir, du travail. J’avais des voisines qui travaillaient chez elles, je les regardais. Et de toucher ce cuir … oh la la, ce toucher, cette matière, et puis j’étais attirée par ce métier, et j’ai appris auprès de dames qui travaillaient à domicile. J’ai la chance d’avoir eu une voisine qui m’a dit :  tu veux faire ça, mais tu sais ce n’est pas facile. J’ai dit oui, mais ça me plait. Si ça te plait, ça va, elle m’a dit. Moi je veux bien t’apprendre. Il a fallu que je trouve une machine, et c’était parti ! » Ainsi débutait la longue carrière de Renée Dupuy. En deux mois et demi, l’apprentie est capable de voler de ses propres ailes. « Car j’en voulais », assure-t-elle. Elle ne se contente pas de travailler huit heures par jour. Elle veillait auprès de la dame qui la formait. Pas facile. « Quand j’ai commencé seule, j’en ai bavé un petit peu, car, même si je savais monter mon gant, entre le monter, le faire et le bien faire, il y a des petites choses qui s’apprennent en travaillant au contact avec d’autres dames. » A l’époque une cinquantaine de fabricants sont actifs. « Heureusement, se rassure-t-elle, maintenant, il y a Hermès qui reprend le flambeau. »

Elle devient gantière avec le statut de travailleur à domicile, ce qui la ravit. Mariée, elle peut s’occuper de sa fille tout en gagnant son salaire. Quand elle se marie, elle change d’entreprise de ganterie, et se perfectionne, car l’entreprise travaillait pour Dior, avec de belles peaux et finitions à réaliser. La peau se travaillant de long en large, elle a besoin d’être bien travaillée par le coupeur gantier. « Si c’est mal travaillé, la peau part dans tous les sens ; la couturière va en baver ! »

Son riche parcours l’amènera à se former et travailler dans d’autres berceaux du savoir-faire du cuir, en France : Millau, Romans-sur-Isère, Cholet. Le tout, sous l’aile protectrice d’un de ses patrons gantiers, figure phare du métier, Monsieur Paul Rigaudy, qui lui dit, à un moment où elle se trouvait, à 30 ans, devant un choix professionnel pour devenir formatrice en cuir : « Je vais vous tranquilliser, ça vous plait, vous continuez, ça ne vous plait pas, sachez qu’il y aura toujours du travail à la maison Rigaudy pour vous ». Un geste qu’elle a trouvé « magnifique ». Elle tente, et est restée formatrice pendant une trentaine d’années au sein de AFPIC (association pour la formation par l’industrie du cuir).  Au bout de dix ans, l’industrie de la ganterie déclinant, le grand patron de l’AFPIC descend de Paris à Saint-Junien pour la voir. « Ça ne va plus, la ganterie est en train de mourir, on ne va pas pouvoir vous garder pour former des gens qui seront au chômage ». On demande à la quarantenaire de se diriger vers la formation en maroquinerie ou en chaussure. Elle pense à la chaussure mais n’a aucun métier. « Vous allez commencer par le vêtement », lui annonce-t-on. « J’ai appris sur le tas en cinq mois. Vous vous jetez à l’eau, ou pas. Et là, j’en ai bavé. J’ai passé des nuits sans dormir ! » Finalement, l’ancienne formatrice retient l’ouverture d’esprit offerte par ses déplacements, par l’apprentissage dans d’autres régions aux techniques autres, la découverte de mentalités différentes. Et le goût du travail de recherche pour la confection du vêtement en cuir.

« Je serais contente de visiter la ganterie Hermès »

Retraitée depuis des années, Madame Dupuy continue de s’intéresser à la vie du cuir à Saint-Junien. C’est avec plaisir qu’il lui arrive de rencontrer, par hasard, en ville, d’anciennes stagiaires qu’elle a formées, à présent salariées chez Hermès. « Je suis contente parce qu’elles voient la différence entre les méthodes de travail. Et d’imaginer : « Je serais contente de visiter la ganterie Hermès », confie-t-elle, se rappelant de sa discussion avec l’une de ses stagiaires lui confiant ses problèmes techniques de l’assemblage des fourchettes (des petits morceaux de peaux à deux branches qui se placent entre les doigts pour leur donner l’agilité nécessaire) :

« M’enfin quand même, dis-donc, qu’est-ce que je vous avais dit pour l’assemblage des fourchettes ? »   Oui, mais je ne me rappelle pas.  Ah oui, c’est une grosse erreur, parce que c’est pour ça que ça ne marche pas ! »

« Et quand je l’ai revue, elle m’a dit :  « Ça m’a fait du bien de vous avoir rencontrée l’autre jour ! » »

Elle a beau avoir 83 ans, on imagine Madame Dupuy reprendre du service au pied levé, et rempiler pour une mission de formatrice sur le champ ! A son ancienne stagiaire « enchantée d’être chez Hermès », Madame Dupuy lui fit remarquer sa chance : « Dis-donc, c’est la belle vie, parce que si vous étiez dans une autre ganterie, il faudrait faire davantage de gants que ce que vous faites par jour. Vous n’avez pas perdu au change ! Moi je les pousserai davantage ! »

C’est donc à Saint-Junien, ville du cuir à la mémoire qui ne demande qu’à refaire surface, que se tenait, l’édition 2022 des Portes du Cuir, l’évènement phare de la filière en Aquitaine, organisé par ResoCuir, en juin dernier. Se réunissaient les professionnels autour des enjeux qui occupent les entreprises du cuir d’aujourd’hui. Les journées grand public, elles, permettaient notamment aux visiteurs de se familiariser avec les métiers du cuir à l’orée de deux messages essentiels : des formations accessibles à tous et des métiers qui recrutent à Saint-Junien, et au-delà, en Aquitaine.

L’avenir en rose des artisans du cuir   ›   le volet 2/3 du reportage 

Reportage réalisé en partenariat avec l'Office de Tourisme Porte Océane du Limousin et l'Hôtel Le Boeuf Rouge en accord avec la ligne éditoriale de The Daily Couture.

Notes : 

La Société des Vieilles Pierres de Saint-Junien, Haute Vienne

Hotel The Originals Saint-Junien Le Boeuf Rouge

Office de Tourisme – Porte Océane du Limousin

Mon enquête sur le cuir dans Marianne

 

 

 

 

 

@thedailycouture 

Depuis 2011, à la demande, the Daily Couture organise des immersions dans les Ateliers Haute Couture à Paris œuvrant pour les plus grandes maisons de mode. 

Pour nous envoyer votre demande : info@thedailycouture.com 

En savoir plus, c'est par ici : Visites Ateliers Haute Couture à Paris | Immersions conçues par une journaliste mode : http://bit.ly/visiteateliershautecouture

Ils nous font confiance : références clients

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *