« Secrets de Bijoux » : une nouvelle ère de la création pour la filière de la bijouterie



L’exposition itinérante « Secrets de Bijoux », à Paris, fut l’occasion de prendre le pouls de la filière française de la bijouterie. Rencontre avec Hervé Buffet, délégué général de Francéclat, organisme national de référence rassemblant tous les acteurs de la bijouterie.

Le 5 février 2024

« La joaillerie-bijouterie, on va dire que, d’une certain façon, elle marche sur l’eau ! » se réjouit, Hervé Buffet, le délégué général de Francéclat, le comité professionnel de développement économique au service des secteurs de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie et des arts de la table. « La progression est tout de même assez spectaculaire avec le doublement de la production en cinq ans ». Le développement des Maisons de la Place Vendôme se reporte sur tous les maillons de la chaîne, notamment sur les ateliers de plus de vingt personnes fortement sollicités. Et, cet « élan » de la filière française se déploie, aujourd’hui, à un moment où de nouvelles possibilités de création changent la donne, comme jamais.  Car « il n’y a pas de limite technique à la création depuis l’avènement de la fabrication additive dans la bijouterie vers 2010 », assure le délégué général. Progressivement, des machines d’impression 3D ont migré depuis les domaines de l’aéronautique et du médical, vers d’autres industries comme l’automobile, et depuis dix ans vers la bijouterie. En bref, cette nouvelle technologie de pointe permet un haut niveau de précision et de qualité, notamment pour la production de pièces métalliques.

C’est la première fois, insiste, pour sa part, Michèle Heuzé, historienne du bijou, que l’on dispose d’un nouvel outil dans l’histoire de la bijouterie qui permet des créations jusque-là impossibles à réaliser par l’Homme seul. Non pas pour optimiser le temps de travail ou la rentabilité du bijou, mais pour fabriquer autrement. On s’affranchit de contraintes liées aux limites physiques du métal pour créer, à présent, des articulations ou imbrications, des systèmes de coulisses, des structures alvéolaires dans le bijou. A la clé : des bijoux beaucoup plus complexes aux effets nouveaux, comme un rendu métallique souple :  sculpture du métal façon « tissu d’or », « double peau ». Un nouveau « potentiel ». De quoi, espère l’historienne du bijou, inspirer le monde de la mode invité à s’emparer de ce nouvel imaginaire et explorer les décloisonnements entre le textile et le bijou…

Sans oublier, en toile de fond, l’autre particularité du bijou, « pas un produit neutre », comme la mode, par exemple : on ne jette pas de bijoux car ils sont imprégnés d’une valeur émotionnelle qui nous accompagne à chaque moment de notre vie. Une sorte de rapport ritualisé que nous avons au bijou, depuis les temps anciens, et que la dernière campagne de publicité de l’organisme a choisi de mettre en avant. Le bijou serait intrinsèquement des plus précieux et durable…

campagne de publicité pour la bijouterie par Francéclat

franceclat- bijouterie
extraits de la campagne de publicité pour la bijouterie par Francéclat

C’est dans ce contexte d’une filière de la bijouterie à la fois en plein boom et en plein renouveau que se tenait l’exposition « Secrets de Bijoux » organisée par Francéclat, dans un des précieux lieux historiques de la capitale : le réfectoire des Cordeliers. Une exposition manifeste immergeant les visiteurs dans le monde des savoir-faire et de la création contemporaine de la bijouterie française portée par les marques et les créateurs. Une mise en lumière que l’on doit à la taxe HBJOAT obligatoire, de 0,19 % du chiffre d’affaires des entreprises de la filière, destinée à financer les actions de Francéclat. Entre autres, la mission de soutenir les plus petits acteurs de la bijouterie évoluant dans l’ombre de nos fleurons de la place Vendôme. Une autre exception culturelle française !

Car, en parallèle des expositions initiées par les joailliers, et qui ont fleuri ces dernières années, « Secrets de Bijoux », une exposition itinérante, continuera sa route, après Bordeaux et Paris. Son ambition : sensibiliser collectivement le grand public, à l’orée de ce renouveau de la création contemporaine française. Et ainsi remédier à son défi d’attractivité inhérent au monde industriel d’aujourd’hui, et faire passer le message essentiel : la filière de la bijouterie – joaillerie forme et recrute.

Mathon Paris : Bague «Bouton d'or», Bague « Cycle de la Lune », Bague «Reflet de Lune»
Mathon Paris : Bague « Bouton d’or » (or gris 18K – or jaune 18k – 15 saphirs roses 0, 334cts – 12 tsavorites 0.157cts – 8 pierres de lune 1.186cts – 1 tourmaline rose 0.447cts – 42 diamants 1.443cts), Bague « Cycle de la Lune » (or blanc 18k -diamants blancs 0, 97 cts – laque), Bague « Reflet de Lune » (or jaune et or blanc 18k – diamants blancs 0.20cts – laque)

Un besoin en recrutement titanesque

Malgré l’aura de nos joailliers de la Place Vendôme dans le monde entier, force est de constater la méconnaissance, dans l’hexagone, du monde de la bijouterie-joaillerie. Ainsi la très discrète filière opère-t-elle un changement de paradigme de sa culture. Car les professionnels se connaissent finalement peu, entre eux… A leur attention exclusivement, par exemple, une cartographie les répertoriant. De multiples actions destinées à aider les marques et les créateurs à « se structurer et se développer rapidement », notamment grâce au nouveau programme Emergence et à sa directrice, Priscilla Jokhoo, qui a réussi, au cours de ces dernières années, la mise en œuvre d’une initiative semblable pour les marques et les créateurs de mode français, au sein de la fédération française du prêt-à-porter féminin.

Par ailleurs, il s’agit aussi de remédier à la méconnaissance de la filière par le grand public. « Nous savons maintenant que nous avons un sujet d’attractivité de la filière comme de plein d’autres, parce qu’à la fois, il y a un effet de renouvellement des générations avec les départs à la retraite et un contexte de forte croissance. Deux drivers extrêmement forts qui poussent à sortir un peu de son image… Nous devons effectivement travailler à la visibilité du travail en atelier, qu’on le rende plus concret en montrant sa modernité, parce qu’aujourd’hui on utilise aussi des centres d’usinage qui évoluent. Nous avons besoin d’usineurs capables de régler les machines, de piloter des experts qui utilisent la CAO etc. Beaucoup ne voient pas la bijouterie comme un secteur avec des métiers qui recrutent et offrent des débouchés », se désole Hervé Buffet.

Ce déficit d’image concerne tout le secteur de la bijouterie, y compris celui de la joaillerie de la Place Vendôme. Pendant une commission technique, une maison lui confia peiner à recruter les ingénieurs, parce que ceux-ci n’imaginent pas que, place Vendôme, on pourrait les embaucher… Car, hormis les traditionnels métiers du polissage et du sertissage recherchés par les ateliers, le besoin d’ingénieurs reflète la réalité de l’évolution du monde du bijou. « On ne pense pas forcément à la bijouterie comme la rencontre entre deux mondes, celui de la pierre et du métal ». Qui plus est, à l’aune de la fabrication additive. « Contrairement aux autres domaines, poursuit le délégué général, sur la partie métal précieux or, platine et argent, la technique de la fabrication additive porte sur des dimensions très petites. Ce sont des métiers du futur portés par des ingénieurs, des bureaux des méthodes, des bureaux d’études ».

Le défi de « l’attractivité » de la filière de la bijouterie et des métiers est tel que Francéclat vient de créer « une commission formation savoir-faire » pour structurer des actions principalement en période d’orientation des étudiants, fin du premier trimestre. Près de 1200 emplois ont été créés pour la production en  bijouterie-joaillerie en 2022, et le mouvement se poursuit !

 « Parmi les fabricants de machines, vous avez des entreprises qui vont racheter de vieilles machines dans d’autres secteurs pour les réadapter… Il y a de la créativité, et c’est un exemple intéressant parce qu’il témoigne du niveau de tension du  secteur de la bijouterie, avec un standard de deux ans avant d’être livré en machines… »

De même, la diversité du type d’entreprises demeure méconnue, malgré « une belle dynamique », assure Hervé Buffet. Les métiers peuvent mener à s’installer à son compte, à intégrer des ateliers qui peuvent compter, à présent, jusqu’à 200 personnes. Car, comme pour d’autres industries liées au luxe, la même tendance est à l’oeuvre, c’est-à-dire le rachat de sites de production par des marques pour sécuriser leurs savoir-faire. Cependant, l’aura des maisons de la Place Vendôme qui fait la renommée du monde joaillier France dans le monde occulte la visibilité des autres marques et des créateurs de l’hexagone. D’où le choix de l’exposition Secrets de Bijoux de les exposer.

Amelie Viaene : Pendentif playtime, Boucles d'oreilles princess Eboli Or, Broche glacée
Amelie Viaene : Pendentif « Playtime » (or jaune – saphir bleu, rose et jaune – spessartite – tsavorite), Boucles d’oreilles « Princess Eboli » (or jaune – diamants – perles gold (mers du sud), Broche « Glacée » (or blanc – saphir)

La riche diversité de la création contemporaine de bijoux

Au travers de plus de 250 bijoux, l’exposition « Secrets de Bijoux » met en lumière la création française autant que l’univers de la fabrication : visuels, extraits vidéos et outils évoquant aussi bien les métiers traditionnels que les nouveaux liés à l’innovation, et surtout à cette fabrication additive à base de poussière d’or. Puis, s’invitent, de façon ludique, quelques spécificités du métier : l’histoire et l’usage des poinçons français et la gemmologie avec une collection rare de pierres précieuses. « En réalité, le grand public n’a pas d’image du secteur de la bijouterie, constate le délégué général. Nombreux sont ceux qui ne se posent pas la question de la fabrication, de la provenance. C’est pour y remédier que l’exposition met en scène, sur les tables, de petits établis accompagnés de vidéos. C’était fascinant, parce que l’exposition, a priori destinée aux adolescents ou aux jeunes, a suscité l’intérêt des adultes qui découvraient la minutie du travail et  la diversité des expertises et des étapes de réalisation d’un bijou. Cette exposition est aussi un bon laboratoire pour récolter un peu de retours du terrain. »

Dans la foulée, Adeline Danlos, directrice de la communication de Francéclat, témoigne, ravie : « C’était même assez touchant de voir, par exemple, une mère venue avec son fils qui ne rêve que de bijouterie. Nous avons pu l’informer de la liste des formations présente dans l’exposition. Nous avons aussi rencontré une femme en reconversion professionnelle qui veut monter un atelier en région, ou encore des professeurs de l’Institut de Bijouterie de Saumur venus avec un groupe de jeunes filles inscrite en CAP. L’une d’entre elles s’est sentie confortée dans son choix d’orientation, et très enthousiaste, nous a confié: ‘ Moi, je sais déjà ce que j’ai envie de faire, mais si je découvrais la bijouterie, aujourd’hui, avec l’exposition, eh bien, c’est sûr que j’aurais envie de m’inscrire à une formation en bijouterie !’ On a eu de nombreux groupes issus des cursus luxe, mode, plutôt des jeunes… ». En somme, un rendez-vous incontournable pour les futurs professionnels de la bijouterie et du luxe, et pour les projets de reconversion.

Les visiteurs ont pu découvrir une sélection de 230 bijoux, à partir de 900 candidatures reçues. Le fil rouge ? La thématique des tendances, tout en prenant soin d’exposer des pièces accessibles à partir d’une centaine d’euros. Le prix le plus élevé atteignait 200 000 euros. Des créations issues d’un univers néanmoins autre que celui de la haute joaillerie qui demeure particulier, précise, Hervé Buffet, « un monde appartenant à l’univers du bijou mais doté de codes et de manières de fonctionner très spécifiques ».

Au fil de la thématique des tendances, on découvre des bijoux ici affranchis de l’approche figurative plus traditionnelle, si appréciée des maisons de joaillerie de la Place Vendôme. Francéclat dévoile le bijou au quotidien dont le travail porte sur la ligne géométrique, plus architecturale et structurelle, support d’une sorte de langage racontant une histoire chère à chaque créateur. Le bijou devient une forme artistique. Car il ne s’agit pas de limiter le bijou à sa forme, mais d’en saisir l’épaisseur du sens à l’œuvre. Francéclat invite ainsi à une lecture contemporaine du bijou inspiré par des multiples références : littéraire, mode… Le tout à l’orée du porté, du porteur : une façon d’accrocher une bague par exemple, ou d’assumer un rapport au corps assez libéré, qui ne craint pas de montrer, parfois, sa vulnérabilité.

A l’image cette bague couture, Bague Femme, de l’artisan joaillier Pierre-Marie Bernard, évoquant sa vision personnel de la  Femme par ce bijou en or blanc et argent paré de tourmalines et de diamants. La structure s’impose sans axe identifiable, rendant impossible l’architecture mentale. Néanmoins, en l’observant de près, se dévoile, à l’intérieur, des courbes volumineuses accueillant, secrètement, une pierre précieuse réminiscence du rapport à la maternité, illuminée de rouge – un rubis couleur sang-, spectre d’une larme…

Pour l’artisan joaillier, une inspiration de ces quelques lignes…

« Une création naissante et sans mémoire. Tournante et retournante aux courbes d’un même orbe.
Et moi je vous salue ô la première femme
Et la plus malheureuse et la plus décevante
Et la plus immobile et la plus émouvante »

Charles Péguy, Ève

Pierre-Marie Bernard : Bague Femme
Pierre-Marie Bernard : Bague « Femme » (or blanc 750/1000 – argent 925/1000 – tourmalines – indigolites 22.34 ct -diamants 1.59 ct – rubis)
Notes :

le site de Secrets de Bijoux où découvrir toutes les marques et créateurs, et de Francéclat

le site des marques et des créateurs cités :  Mathon Paris  Amélie Viaene  Pierre-Marie Bernard et Capucine H

rédigé par Stéphanie Bui

@stephaniebui – journaliste indépendante spécialisée savoir-faire 

Depuis 2011, à la demande, the Daily Couture organise des immersions dans les Ateliers Haute Couture à Paris œuvrant pour les plus grandes maisons de mode.

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