UN MONDE DONT LE NOM EST FORÊT INVESTIT LA FONDATION CARTIER : LA LUTTE YANOMAMI EN AMAZONIE NOUS INTERPELLE À L’ACTION



L’exposition consacrée à la photographe Claudia Andujar nous éveille à la société et à la culture Yanomami, et au combat d’une vie en faveur du droit à la survie physique et culturelle de ce peuple.

Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier

« Malheureusement, le projet est devenu urgent », avertit Thyago Nogueira, commissaire de l’exposition Claudia Andujar, la lutte Yanomami, à la Fondation Cartier jusqu’au 10 mai 2020. Consacrée à l’artiste et militante de 88 ans, brésilienne d’origine suisse, l’exposition itinérante met en lumière un art au service de la cause Yanomami, peuple autochtone que la photographe a rencontré au début des années 70, et dont elle parle la langue. Pour l’inauguration parisienne de l’événement, les compagnons de la lutte étaient réunis (excepté la photographe, malade ce jour-là) : Davi Kopenawa, chaman et porte-parole des Indiens Yanomami du Brésil (avec Roani Metuktire, il est l’un des plus importants défenseurs actuels de l’Amazonie et des peuples qui l’habitent) , son fils qui a appris le portugais pour mieux sensibiliser à la cause de son peuple, et Bruce Albert, anthropologue français et fervent défenseur, depuis 1975, des droits de ce peuple autochtone estimé à 36 000 personnes, s’étendant sur 180 000 km².  Tour à tour, chacun lance un appel aux Français pour faire pression sur le gouvernement brésilien. Et continuer la lutte qu’ils ont lancée ensemble, en 1978 par la création  de la Commission Pro-Yanomami (CCPY), une organisation non-gouvernementale brésilienne à but non lucratif pour défendre les droits territoriaux et culturels de ce peuple. Son action perdure aujourd’hui par l’association Yanomami Hutukara et l’ONG Instituto Socioambiennal. Car ce monde dont le nom est forêt – comme le nomme l’anthropologue – est menacé.

Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier
Davi Kopenawa – inauguration exposition La Lutte Yanomami, Fondation Cartier – photo : the daily couture

« La vie d’une population autochtone est soumise au graphique du cours de l’or à la bourse des métaux précieux de Londres »

the daily couture publie un article sur l' exposition La Lutte Yanomami, Fondation Cartier, par la journaliste Stéphanie Bui
MARCADOS, 1981-1984, Aracá, Amazonas/Surucucus, Roraima, 1983.

« C’est complètement inédit, relève Bruce Albert. On a l’impression que l’existence des Yanomami est indexée sur le marché de l’or. »  A la fin des années 80, l’augmentation du prix du métal précieux avait amplifié la présence des chercheurs d’or sur les terres Yanomami. Depuis environ sept ans, la situation se répète. « Une invasion » de chercheurs d’or – entre 20 000 à 25 000 – se propage actuellement, et avec elle les maladies introduites par les mineurs et orpailleurs. Qui plus est, bientôt, une loi légalisera leur présence, s’insurge l’anthropologue pointant du doigt un gouvernement brésilien digne d’un remake de celui des années 70 – en pire. La présidence de la République sous l’ère de Jair Bolsonaro menace de revenir à la démarcation du territoire Yanomani –  qui avait été déclaré comme leur appartenant à la veille du Sommet de Rio en 1992.  Le mot « dictature » sera prononcé. Depuis un an, plus d’une dizaine de leaders indiens ont été tués au Brésil.  Davi Kopenawa l’affirme lui-même : « Je suis un survivant de l’histoire racontée par les photos de cette exposition ». Et dans ce combat,  Claudia Audujar est devenue  « une sorte de mère, une femme venue de très loin pour nous sauver la vie ».  Et de conclure : « Ces photos vous racontent l’histoire des cinquante dernières années : comment les autorités brésiliennes nous ont tués et laissé propager des maladies que nous avons attrapées. Ces photos sont des preuves de cette histoire ».

 

Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier
Invité orné de plumules de vautour pape ou de faucon pour une fête, photographié en surimpression, Catrimani, Roraima, 1974.
Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier
Antônio Korihana thëri, jeune homme sous l’effet de la poudre hallucinogène yãkoana, Catrimani, Roraima, 1972-1976.

« Photographier comme un anthropologue en rêve : du dedans »

Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier
Candinha et Mariazinha Korihana thëri lavent un hocco dont les plumes seront utilisées pour empenner des flèches, Catrimani, Roraima, 1974
Claudia Andujar, exposition des yanomami à la Fondation Cartier
Susi Korihana thëri au bain, pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima,1972-1974

Un Yanomami aurait pu prendre ces photos tellement la distance entre le regard de la photographe envers son sujet s’efface. L’effet produit : les moments de la vie quotidienne, dont l’expérience chamanique, confinent au singulier voire à l’étrange : loin du cliché ou de la pose. Ce qu’encense l’anthropologue Bruce Albert. Les légendes des photos nous aident à saisir des instants de vie aux allures expressionnistes : des couleurs infrarouges, du flou – du nébuleux vers un infini à portée de main. Une beauté mystérieuse s’impose.  Elle  invite à s’affranchir de notre réalité rationnelle occidentale, celle du « peuple de la marchandise » (le nom donné par Davi Kopenawa au peuple des « Blancs »). Apparaît une autre manière d’être au monde :  faire Un avec « urihi a », nom par lequel les Yanomani désignent à la fois la formation végétale et de la forêt et l’espace terrestre qui la supporte. Cette « terre-forêt » est vécue comme une entité vivante où coexistent humains et non-humains (animaux, végétaux) ou invisibles aux non-chamans (esprits chamaniques et êtres maléfiques).

Enfin, comment ne pas ressentir que cette œuvre artistique devenue un combat de vie tire sa force de l’histoire même de son auteure : née Claudine Haas à Neuchâtel en 1931, d’un père juif hongrois et d’une mère suisse protestante, elle a fui  les persécutions nazies en Europe de l’Est. Son père fut déporté à Dachau, où il est exterminé avec la plupart des membres de sa famille. Plus tard, elle gardera le nom de son premier mari pour cacher son identité juive. En 1974, elle fut témoin de la décimation de la population Yanomami.  La rencontre avec ce peuple en lutte face à un génocide à l’oeuvre devant les yeux du monde la ramènera vers un essentiel vital, le sien : « Je suis liée aux Indiens, à la terre, à la lutte première. Tout cela me touche profondément. Tout me semble essentiel. Peut-être ai-je toujours cherché la réponse au sens de la vie dans ce noyau fondamental.  J’ai été poussée là-bas, dans la forêt amazonienne, pour cette raison. C’était instinctif. C’est moi que je cherchais ».

rédigé Stéphanie Bui

publié le 30 janvier 2020

Site de La Fondation Cartier

 

 

 

 

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