Après Art Textile par Hermès 1, le premier billet d’une série consacrée aux ateliers et artisans de Hermès dont le savoir-faire est désormais présenté lors des semaines de la Haute Couture, je vous invite à découvrir, ci-dessous, cette nouvelle immersion dans l’univers de l’artisanat cher à la maison traditionnelle.
Rendez-vous incontournable de l’expression des savoir-faire d’exception, la Semaine des présentations des collections Haute Couture printemps-été 2014 célébrait ses métiers artisanaux. Par les somptueux défilés, bien sûr, mais aussi, par cette seconde édition de visites d’ateliers traditionnels et la rencontre avec certains artisans œuvrant au sein des plus grandes maisons symbolisant un art du luxe à la française. Soit une découverte au plus près de la matière textile dans les discrètes coulisses du bel ouvrage. The Daily Couture partage avec vous la rencontre avec les artisans de Hermès venus à Paris y présenter ce que la Maison traditionnelle est reconnue pour si bien réussir : une création contemporaine née de l’héritage de ses métiers artisanaux amenés à évoluer au fil de nouvelles propositions esthétiques et de l’innovation technologique. Une alchimie si difficile à atteindre et renouveler, mais indispensable pour créer la surprise et l’émotion de toute création d’exception inscrite dans l’air du temps !
Sous la verrière de la Galerie Joseph du Marais, des tissus suspendus réalisés par Métaphores, la société de Hermès spécialisée dans la création du tissu pour l’ameublement, colorent le minimalisme blanc du lieu d’exposition d’une touche dynamique : l’écrin artistique parisien de ces ateliers de Hermès venus du Rhône Alpes et de la Sarthe avec quelques-uns de leurs artisans et ingénieurs.
Outre le savoir-faire de la gravure à la main et de l’impression au cadre du carré de soie – sujet partagé avec vous lors d’un précédent billet * – étaient présentés le savoir-faire du tissage du crin de cheval et ce projet en phase finale de développement : un tissu lumineux.
En phase finale de développement chez Hermès: une technologie des fibres optiques pour tisser des textiles lumineux
Accroché au mur de la galerie comme une œuvre d’art, l’écran textile – interdit à la photographie – est une invitation à sentir la sensualité du tissu au toucher, un mélange soie et coton incrusté d’un motif décoratif à illuminer ou pas, selon son désir.
Quatre ans de recherche auront été nécessaires pour le développement de la LED incrustée dans ce tissu aux fibres naturelles, confie une ingénieure de Hermès collaborant avec les laboratoires de recherche. Le principe ? Réussir à tisser des fils conducteurs en cuivre avec les autres fibres naturelles en soie et coton de façon à permettre, ensuite, l’intégration d’ultra fines Leds à peine présentes au toucher et à la vue lorsqu’éteintes. L’innovation se situe au niveau de la finesse de ces Leds utilisées et du léger dispositif électrique caché derrière le tissu ayant permis de préserver l’esthétisme du tissu, explique l’ingénieure. Soit un tissu acteur d’ambiance sans rien perdre de l’esthétisme du tissu.
A l’affût d’un quotidien toujours plus esthétique et modulable, nous voilà en présence d’univers décoratifs nouveaux aux potentiels infinis. En témoignent une multiplicité d’acteurs et de manifestations dédiées à l’innovation technologique appliquée au secteur du textile : aux expositions très instructives de Futurotextiles, en passant par ce portail spécialisé créé en 2010, l’Observatoire des Textiles Techniques (OTT), à cette prochaine table-ronde « Mode et Technologie : un levier paradoxal d’innovation ? » à ESCP Europe le 6 février prochain. L’innovation textile s’avère passionnante et porteuse d’un bel avenir au regard aussi du soutien public des projets de recherche européens, à des fins de bien-être, médicales ou de design. L’une des stars au dernier CES de Las Vegas ne fut-elle pas un textile intelligent avec le T-Shirt de Cityzen Sciences remportant un prix de l’innovation pour sa capacité à informer sur les performances des sportifs ? De quoi améliorer les performances de toute sorte grâce aux textiles intelligents. Et à la Maison Hermès de plébisciter la Semaine de la Haute Couture pour affirmer, elle aussi, l’apport de sa recherche en matière de textiles intelligents voués à perpétuer le rêve d’un art du luxe à la française.
Le tissage du crin de cheval au service de la création contemporaine chez Hermès
On connait, bien sûr, le logo de la marque Hermès, une calèche, rappelant le savoir-faire originel de la marque, celui de la sellerie. Quoi donc de plus naturel de rencontrer, en plein cœur de Paris, des artisans perpétuant le savoir-faire du tissage du crin de cheval ! C’est là que la force du studio créatif prend sens : comment sortir cet artisanat historiquement cantonné à des formes folkloriques et traditionnelles pour le rendre désirable et pertinent comme matière d’aujourd’hui ? Les atouts du crin de cheval sont majeurs pour la création d’hier comme d’aujourd’hui très sensibilisée à l’utilisation de matières naturelles.
Prisée pour sa résistance, facilité d’entretien et très longue durée de conservation, cette fibre naturelle est utilisée historiquement depuis le 18ème siècle comme tissu d’ameublement pour le revêtement des fauteuils et canapés, au 19ème siècle pour fabriquer des objets plus souples comme les chapeaux et sacs déjà, et historiquement pour le siège des calèches, rappelle Sylvie, artisan de l’atelier du tissage de crin de cheval de Hermès, à Challes, depuis six ans. Hermès présentait ce modèle de sac Constance renouvelant, avec ses codes, l’application du tissage du crin à des sacs. Et voilà la fibre naturelle domptée des mains des artisans pour en faire un sac au rendu satiné chicissime !
Comme pour la qualité du cuir dépendant de la peau de l’animal et donc de la qualité de l’élevage de celui-ci, la qualité du crin de la queue de cheval varie selon la vie qu’aura eu l’animal. S’impose donc une attention toute particulière aux conditions d’élevage de l’animal. Le crin de cheval utilisé par l’atelier de Hermès provient de Mongolie, et est acheminé vers l’atelier Sarthois en rouleaux, des « panaches », livrés en quatre couleurs : noir, alezan, blond et gris clair. Le blond est une couleur rare.
Avant de les tisser, les brins doivent être très triés, explique Sylvie, notamment les panaches blonds et noirs afin d’assurer l’uniformité de la couleur du futur tissu. Et dire que si notre goût formaté à la couleur industrielle, à savoir parfaite d’uniformité, ne l’était pas ou moins, nous pourrions apprécier ces dites irrégularités de couleur, finalement l’expression de l’empreinte de la vie du cheval, de sa singularité, somme toute sa beauté même… Or comment pourrait-il en être autrement pour nos yeux contemporains déconnectés de la vie de la Nature, non aptes à accepter les irrégularités de la couleur ? La création artisanale sera donc parfaite pour le bonheur de nos yeux !
La cisal est l’autre fibre présentée au côté du crin de cheval. Utilisée dans l’atelier, la fibre végétale, arrivée brute, doit être peignée et subir un carnage pour avoir des bouts corrects, selon le même processus du traitement de la fibre naturelle du lin à laquelle the Daily Couture s’était déjà intéressé lors d’un précédent billet.*
Les fibres prêtes, et c’est au métier à tisser de s’activer : le geste manuel précis de la main de l’artisan est sollicité tandis que ses pieds sont désormais au repos. Sur le métier à tisser sont montés des cartons perforés définissant précisément où faire passer le brin de crin ou de cisal. Le tissage s’effectue brin par brin à mesure que se présente le carton perforé et l’aiguille qui le lève. A ce moment-là, quand la trame se lève, à l’artisan de passer le brin dans le carton perforé défilant à toute vitesse. Un travail exigeant une grande précision du geste artisanal et une rapidité hallucinante pour nous autres profanes… Enfin, après le tissage, on « chipote », un joli terme faisant référence au retrait des fibres de trop, les rebelles.
Trois mètres de crin de cheval sont tissés par jour, un peu moins pour le tissage du cisal. Les deux fibres naturelles sont travaillées de la même façon. Seul l’usage diffère : la préférence du cisal pour la réalisation de dessins en relief et celui du crin de cheval pour un rendu satiné et plus fin. Un travail tout en concentration.
La visite de cet atelier est possible pendant les journées du patrimoine, ce qui vous permettra, en plus de la rencontre avec les artisans de cet atelier de Hermès de découvrir le petit musée interne au site et le sapin siégeant au beau milieu de l’atelier. Un savoir-faire devenu rare dans un lieu décidément insolite !
par Stéphanie Bui
Notes :
Art du Textile par Hermès (1), the Daily Couture
Pour en savoir plus sur l’innovation textile :
la Bibliothèque des sciences et de l’industrie (BSI)
L’Observatoire des Textiles Techniques
« Mode et Technologie, un levier paradoxal d’innovation », Table ronde, février 2014, ESCP EUROPE Business School
« Lin Grand Cru », billet de the Daily Couture