Claudio Rovere a mis le cap sur le temps long inhérent aux savoir-faire d’excellence. Créée en 2017 par ce passionné, alors peu familier de la mode, la structure HModa a fière allure, aujourd’hui forte de ses 18 manufactures italiennes qui collaborent avec de grands noms de la mode. Après l’Italie, la France ? Comment cet ex-manager d’un fonds de Private Equity en est-il arrivé là ?
HModa s’agrandit avec l’arrivée prochaine d’un site de 3000m2, à Paris. A présent, ce sont 18 manufactures qui ont intégré cette structure, selon quatre unités : habillement, chaussure, maroquinerie et tissu. Qu’est-ce qui explique le succès de HModa ?
Je voudrais tout simplement exprimer la passion pour la préservation des savoir-faire. J’apprécie l’énergie et le travail du beau que l’on ressent dans les entreprises. Partout, la passion est là. Et savoir que le projet a pour seule mission de préserver et développer les savoir-faire, c’est peut-être la raison du succès de HModa. Nous sommes vraiment tous ensemble dédiés à cet objectif commun.
Le travail en réseau par les fabricants italiens est bien connu et apprécié des marques donneurs d’ordres, est-ce que vous pensez que là réside l’une des clés du succès ? Une façon de travailler moins fréquente en France, autre grande terre de savoir-faire.
Oui, surtout pour les manufactures de savoir-faire de la mode, que ce soit en Italie ou en France, travailler en réseau va être essentiel, parce que le savoir-faire est constitué d’une immense diversité. On ne peut pas parler du savoir-faire comme dans les autres secteurs de l’innovation. La spécificité des savoir-faire de la mode, c’est la diversité. Il faut vraiment travailler ensemble et faire équipe sinon, le risque, c’est de perdre la diversité et la richesse des savoir-faire. Et travailler ensemble n’est pas évident. Dernièrement, nous avons dévoilé la deuxième édition de co-LAB 18, à Paris, constituée de pièces maîtresses illustrant des méthodes de fabrications novatrices au service des grandes maisons de couture françaises. Le résultat d’innovations propres à chaque entreprise et à leur collaboration.
Comment avez-vous abordé initialement les entrepreneurs de ces manufactures de savoir-faire ?
Au début, c’était très difficile. J’avais 36 ans. Les entrepreneurs me répliquaient qu’ils n’avaient pas de problème. Ils ne comprenaient pas ce qu’un jeune homme comme moi pouvait leur apporter à eux, très expérimentés dans la mode. Une entrepreneur me confiait alors : « Ecoute, moi je vais très bien, j’ai créé cette société il y a trente ans, les maisons du luxe sont venues vers moi pour me dire que qu’elles ont besoin de moi, alors pourquoi devrais-je travailler au sein d’une structure d’agrégation de manufactures ? Ce à quoi je lui ai répondu : « Je ne suis pas venu pour finaliser un mécanisme financier ensemble. Mon objectif est de préserver ce que votre société a accompli, parce que, d’ici dix à vingt ans, ça va être difficile. En effet, la nouvelle génération doit être préparée. » Pour elle qui s’était déjà réalisée professionnellement, ce qui était important, confia-t-elle, alors, c’était de savoir qu’elle pourrait continuer de vivre dans sa ville où elle avait créé son atelier, que le territoire serait préservé. C’était la première fois qu’elle était sur le point de faire partie d’un groupe, après avoir compris la vision du projet HModa. Il s’agissait de Simonetta Guelfi, cofondatrice de l’entreprise de textile Uno Maglia, dans la province d’Arezzo, en Toscane. Elle a eu la volonté de rester à l’écoute. Je lui ai proposé de cheminer ensemble et de réaliser des actions dans lesquelles elle n’avait pas trop envie de s’investir. Des actions qui seraient de plus en plus importantes pour assurer l’avenir de sa société. C’est une histoire de confiance construite pas à pas. Au bout de huit années, ayant compris que la pérennité des savoir-faire était bien au cœur du projet, nous avons concrétisé les modalités de notre collaboration après avoir multiplié son chiffre d’affaires par dix et multiplié par trois le nombre de ses salariés. Uno Maglia fut la première manufacture à intégrer le projet en 2008, et Simonetta Guelfi est devenue son ambassadrice qui pouvait expliquer aux autres manufactures le projet de HModa.
Comment est née cette envie pour œuvrer à la pérennité des savoir-faire de la mode ?
Ce projet industriel à long terme est né après une expérience professionnelle tout à fait aux antipodes. Ce qui m’a alors permis de comprendre exactement ce que je ne voulais pas faire dans la vie. J’exerçais alors comme manager d’un fonds de Private Equity. J’évoluais dans ce monde où tout le monde voulait devenir riche et faire très vite. J’ai eu envie de rompre avec ce cadre professionnel, sans pour autant nier l’importance de la finance pour l’économie. Ce monde n’était pas fait pour moi. Et puis, le lien avec le secteur de l’habillement me renvoyait aussi à l’histoire de ma famille. Mes parents avaient une petite boutique d’habillement. Mes premiers souvenirs d’enfance remontent à ces moments où je préparais la boutique pour mes parents. Je respirais les chemises ! Enfin, j’ai fait des rencontres cruciales, notamment Simonetta Guelfi qui s’est décidée à tenter l’aventure auprès d’une personne alors peu expérimentée.
Comment les manufactures de mode travaillent-elles avec HModa ?
En Italie, nous sommes basés à Turin et Milan où la société détient la majorité des entreprises. Nous sommes 80 salariés qui travaillons à la stratégie, au développement des entreprises, aux technologies de l’information, à l’innovation, à la gestion des services généraux communs. Nous avons douze spécialistes qui gèrent la fonction du développement stratégique des entreprises et des nouvelles acquisitions. Par exemple, nous avons un spécialiste de l’univers de la chaussure à la recherche de potentielles entreprises qui pourraient rejoindre HModa. Là réside aussi la beauté du projet : j’applique la règle d’investir tout ce que j’ai pour la croissance. Je ne peux pas faire de retour sur investissement. Le modèle de développement repose sur un cercle vertueux : nous réinvestissons dans les entreprises ce que nous gagnons. Aujourd’hui, nous investissons beaucoup parce que nous sommes un groupe doté d’une structure solide.
Un modèle un peu similaire à celui de Manufacture de Mode du groupe Chanel, la structure qui rachète les entreprises…
Oui, mais nous sommes bien plus petit et notre approche est multi-marques.
Au début de l’aventure en 2017, la question de la RSE n’était pas aussi essentielle qu’aujourd’hui. Maintenant, comment vous vivez ces enjeux de la RSE ?
Nous avons un avantage compétitif. Les marques de mode viennent nous voir parce qu’elles savent que nous avons une vraie filière traçable et intégrée, que nous sommes engagés dans la formation, que nous prenons le temps de réaliser des développements industriels. Quand on parle des enjeux transversaux en matière de Compliance et de Responsabilité Sociétale des Entreprises, l’enjeu est la réalisation d’investissements et de prendre le temps de le faire. Car si l’on se contente de parler durabilité sans investissement, c’est du greenwashing. Par exemple, nous avons créé notre centre de formation, Accademia HModa, qui nous permet de répondre à nos besoins de capacités internes. Chaque année, des salariés artisans intègrent notre groupe. Ce centre de formation est ouvert aux diplômés de moins de 25 ans, qui ont envie d’apprendre les métiers de la production Haute Couture en collaborant avec les marques italiennes et internationales de luxe les plus renommées.
Enfin, sachant que HModa est une initiative de défense des savoir-faire italiens, que pourriez-vous dire à des entreprises de savoir-faire françaises indépendantes ? Car il y aurait sans doute de nombreuses entreprises françaises intéressées par un tel projet ?
Oui, c’est une très belle question ! Je pense qu’il faut avoir du respect et savoir que nous sommes plutôt au service des Français. Dans le futur, pourquoi ne pas, en effet, imaginer une collaboration qui passe aussi par un investissement sur le territoire français ?
Il y aurait sans doute beaucoup à entreprendre en France pour pérenniser et développer notamment le secteur de la chaussure, sachant qu’une grosse partie de la production est partie en Italie….
C’est pour cela que je suis ouvert, pourquoi pas, à l’idée de contribuer à la réindustrialisation d’une filière de la mode en France. Je suis prêt.
Notes :
voir le site officiel du hub italien
rédigé par Stéphanie Bui
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