A vous qui aimez les coulisses de la création artisanale, l’exposition Le Dessein du Geste, jusqu’au 10 octobre, à l’Hôtel de Ville de Paris, vous ravira avec son projet aussi inédit qu’ambitieux : comment rendre hommage aux artisans d’art ? Comment souligner les valeurs sous-tendant la pratique de savoir-faire séculaires ayant perduré au fil des siècles au sein de grandes manufactures françaises? Du design, il en est question — mais côté coulisses de la fabrication. L’exposition s’est donc vite imposée comme l’objet d’un billet indispensable sur The Daily Couture.
Les artisans d’art sortent de l’ombre, s’affichent en grand par d’immenses portraits photographiques. Par des entretiens enregistrés et efficacement montés par Corentin Banzet, ils s’expriment sur leur métier et valeurs tandis que les designers et les directeurs artistiques, pour une fois, ne seront pas les seuls stars de cette exposition effectivement consacrée au design : ceux-ci seront envisagés comme un maillon du processus créatif tout comme l’est l’artisan d’art. C’est assez rare pour être souligné.
Saluons donc l’intention de cette exposition même si depuis quelques temps déjà, l’univers de l’artisanat s’immisce de façon plus visible – et tant mieux ! – dans la communication des entreprises liées aux savoir-faire d’exception made in France. Il est vrai que la Fondation Pleyel et Hermès sont partenaires de l’exposition où ils sont exposés. Or ces maisons perpétuent réellement des processus créatifs restés traditionnels et ont mis l’artisanat au cœur de leur activité. L’image de marque estampillée luxe de certains groupes internationaux présents s’effacent donc, laissant dévoiler des visages et des gestes. Le mot clé : la manufacture ; il nous recentre vers la création traditionnelle française d’exception avec, à sa racine, ses artisans d’art et leur collaboration avec les designers porteurs d’innovation.
A quand une exposition de la même teneur dans l’univers de la mode ?
“L’artisanat d’art et le design n’ont pas à s’opposer puisque l’artisanat d’art est le laboratoire du design”, Alain Lardet.
« La principale intention du projet, souligne Alain Lardet, c’était de mettre au centre l’artisanat grâce à cette série de photos de Sophie Zénon offrant aux artisans un magnifique écrin ». Et de conclure : “Contrairement aux idées reçues, le design soutient l’artisanat, il est à son service, et pas l’inverse. » Expert du design depuis des années, Alain Lardet aime à mentionner et souligner l’humilité des plus grands designers devant l’expertise des artisans, il souhaitait que cette valeur soit illustrée dans l’exposition. C’est réussi.
Illustrer et valoriser le pouvoir du design à faire renaitre un artisanat d’art traditionnel.
Le savoir-faire des artisans des grandes manufactures françaises sélectionnées est exprimé par des objets présentés en duo : l’un révèle le savoir-faire traditionnel d’une manufacture, l’autre, la capacité d’innovation de la manufacture encourageant la collaboration entre les artisans et les designers. Au visiteur de ressentir l’univers créatif et la valeur ajoutée du designer.
Les entretiens vidéo avec des artisans et des designers s’avèrent une source particulièrement efficace pour la compréhension des métiers d’art, des métiers de passion.
“Il y a presque quelque chose d’autiste voire de sacré dans la façon qu’ont les artisans de travailler et de s’exprimer sur leur travail”, Sophie Zénon.
La série de photographies de Sophie Zénon constitue une grande partie de l’exposition. Suspendus aux murs des Salles des Prévots et des Tapisseries, les immenses portraits des maitres artisans révèlent une beauté du geste teinté de mystère. Il n’est pas question de comprendre ce geste, comment le pourrait-on ? Il faudrait s’immerger dans chacun de ces métiers, en comprendre ses nombreuses étapes. Seuls les artisans savent ce qu’ils font. La photographe dévoile la noblesse du geste baigné dans un clair-obscur rappelant des portraits de peintures européennes, même si les artisans n’ont pas posé. Pas de doute : c’est un hommage aux artisans d’art.
Comment utiliser l’image pour rendre compte du geste expert du maître artisan ? C’est la question qu’on se pose continuellement au Daily Couture. Même si l’objet façonné par les mains de plusieurs maîtres artisans est un travail collaboratif, l’artisan d’art reste « une personne très solitaire, isolée dans son univers clos. » La photographe a choisi de retenir l’intimité de l’artisan d’art avec son objet, sa matière voire ce « côté autiste de l’artisan dans son approche du travail ; ils sont si concentrés qu’il y a même quelque chose de sacré dans leur façon de parler de leur travail ». Un défi photographique bien mené malgré les contraintes à respecter : photographier un seule geste spécifique du savoir-faire de chacune des 26 manufactures traditionnelles, sans redondance sachant que plusieurs cristalleries étaient représentées.
Enfin, le livre de l’exposition – plus qu’un simple catalogue – s’impose par la qualité des informations mentionnées indispensables à la compréhension des valeurs clés – et du positionnement marketing aussi – des entreprises exposantes. The Daily Couture partage avec vous quelques citations illustrant ces valeurs dont nous nous sentons proches !
“Le mot « savoir-faire artisanal » est fait pour garantir une qualité et une philosophie, pas un prix”, Thierry Moysset
A la tête de la coutellerie montronnaise Forge de Laguiole depuis 2007, Thierry Moysset est ce personnage haut en couleur que The Daily Couture retrouve avec un grand plaisir tant il défend bien les valeurs des métiers artisanaux au cœur de sa manufacture traditionnelle fondée en 1653 ! « Je m’insurge contre le mot “luxe”, clame-t-il, car pour lui,« une entreprise en bonne santé, c’est cela le vrai luxe. Sa première richesse, c’est de générer de l’emploi.»Depuis son rachat de l’entreprise aveyronnaise il y a sept ans, il a embauché 27 personnes. Impossible toutefois de dénigrer la qualité des savoir-faire au cœur de la création de certains de ces produits dits de luxe inaccessible à la plupart des bourses. Conférencier invité au lancement du nouveau label made in France intitulé Origine France Garantie que the Daily Couture avait alors cité dans un billet et lors de la conférence que j’ai animée sur le Luxe et le Made in France, Thierry Moysset insistait déjà sur la notion de territoire : la pratique de l’artisanat d’art doit rester ancré dans le territoire dont il est issu. Le plus célèbre des couteaux français conçu en 1820 par Forge de Laguiole demeure une création traditionnelle du Périgord.
Chez Hermès: “l’artisan est l’auteur responsable de son produit”, Chantal Granier
Oublions le mot luxe et marque pourtant bien associé à Hermès. « Métier », c’est le mot phare guidant les équipes de la direction artistique de l’univers de la maison Hermès, confie Chantal Granier, directrice artistique déléguée auprès de Pierre-Alexis Dumas.
On apprend par Chantal Granier que les selles sont numérotées et répertoriées dans des registres manuscrits précieusement conservées dans l’atelier historique au 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré. « Grâce au numéro, on retrouve le nom de l’artisan qui a fait la selle : s’il est toujours chez nous, c’est lui qui en assure la restauration. C’est la même philosophie pour les sacs, l’artisan est l’auteur responsable de son produit”.
La traçabilité des selles est optimale puisque, depuis 1909, un registre répertorie le numéro de la selle, les mesures, les noms du client et de l’artisan. L’arçon est, lui, fabriqué par le dernier atelier en France, près du Mans. Comme le métier de formier lui aussi en voie de disparition en France, la conception de ce qui est finalement l’armature de la création artisanale, qu’elle soit selle, chaussure ou chapeau peine à se renouveler et menace la pérennité de l’excellence de certains savoir-faire.
La pratique de ces métiers artisanaux peut être envsagée comme :
-indissociable d’un territoire spécifique générant de l’emploi local
-source de pérennité d’une tradition artisanale
-une création au cycle de vie long grâce à un service de restauration souvent proposé par les artisans comme la designer modiste Céline Robert le confiait au Daily Couture,
C’est en ce sens que la pratique de l’artisanat d’art peut être considérée comme soutenable.
Les manufactures traditionnelles françaises sélectionnées incluent Odio, orfèvre depuis le Second Empire en France, Drucker, rottinier depuis 1885, Mauviel, fabricants ustensiles de cuisine depuis 1830, Cristofle, orfèvre depuis 1830, Ligne Roset, fabricant de mobilier depuis 1930, l’ Orfèvrerie d’Anjou making spécialiste du travail de l’étain depuis 1710, et tous les cristalliers Lalique, Saint-Louis, Daum, Baccarat parmi d’autres très belles manufactures traditionnelles.
Quelques-uns des designers ayant collaboré avec ces manufactures comptent parmi eux Mattia Bonnetti avec Odio, Guillaume Bardet ayant obtenu le Prix Liliane Bettancourt de l’Intelligence de la Main que The Daily Couture présentait, Normal Studio avec Tolix, Patrick Norguet avec Drucker, Olivier Peyricot avec Mauviel, Martin Szekely avec Christofle, Roan and Erwan Bourellec avec Ligne Roset, Eric Berthès avec the Orfèvrerie D’Anjou et plus encore…
Comme 26 manufactures françaises sont présentées avec quelques collaborations avec les designers et artisans que nous ne pouvons pas tous citer, le mieux est de se rendre à l’Hôtel de Ville de Paris, l’exposition est gratuite. Encore six jours avant qu’elle ne se termine le 10 octobre. N’hésitez pas à partager avec the Daily Couture votre avis sur cette exposition !
L’exposition Le Dessein du Geste
@thedailycouture Depuis 2011, à la demande, the Daily Couture organise des immersions dans les Ateliers Haute Couture à Paris travaillant pour les plus grandes maisons de mode. Envoyez-nous votre demande: info@thedailycouture.com En savoir plus, c'est par ici : Visites Ateliers Haute Couture à Paris | Immersions Mode Ils nous font confiance : ref clients