Destination le Tarn : retour sur les visites d’entreprises à Graulhet. L’enjeu de la formation (2/3)



Les visites d’entreprises en plein boom : retour sur l’événement « Graulhet, le cuir dans la peau » dédié à la découverte de la filière du cuir. The Daily Couture y assistait et a réalisé un compte-rendu en partenariat avec l’Office de Tourisme La Toscane Occitane (2/3)

Le 1 décembre 2023

Après l’enjeu de la valorisation de la filière du cuir locale (1/3) de la ville tarnaise, lors de la 7ème édition de « Graulhet, le cuir dans la peau », le deuxième volet de ce compte-rendu, réalisé en partenariat avec l’Office de Tourisme La Toscane Occitane, évoque la question de la formation. Un enjeu crucial pour les entreprises du cuir tarnaises, mais aussi pour des visiteurs.

L’effet papillon de la venue d’enseignants

Impact sur la formation auprès des étudiants en mode et au-delà

Au plus près des besoins pédagogiques de leurs élèves, la présence d’enseignants à ces visites d’entreprises s’avère une manne pour mieux former les jeunes générations au monde du cuir local. En témoigne, aujourd’hui,  par exemple, la présence de stagiaires du lycée professionnel de Castres depuis la visite de Sophie à la station d’épuration d’eau. En effet, les visiteurs sont incités à découvrir la Régie des eaux graulhetoise compte tenu de l’incontournable question du traitement des eaux usées de la filière cuir. D’autant plus qu’elle n’est pas comme les autres ! Son histoire demeure liée à celle des mégissiers et tanneurs locaux, héritiers de son fonctionnement mutualisé, un particularisme local partagé avec une seule autre régie des eaux en France ! Après la découverte du laboratoire d’analyse de l’établissement, la professeure avait recommandé à ses collègues d’y envoyer des élèves en stage. Car, pour les élèves, le mot « laboratoire » renvoie systématiquement aux laboratoires d’analyses dans le domaine médical, relève la professeur, et pas forcément à celui d’une station d’épuration. Un énième exemple de méconnaissance du monde industriel…

La première participation de Céline à ces journées de découverte laisse présager un autre type d’effet papillon à même de contribuer à la formation de ses élèves au monde du cuir local. Native de Graulhet, la professeure a fait passer le mot à ses collègues du Lycée Gabriel Péri de la ville rose, entraînant la présence de plusieurs enseignants toulousains, spécialistes des métiers de la mode, mais non du cuir. Avec sa collègue de physique chimie en BTS métiers de la mode, Louise, particulièrement intéressée par le tannage végétal pour son intérêt écologique, les enseignantes aimeraient faciliter les rencontres avec les professionnels du cuir graulhetois, pour « donner d’autres casquettes » aux étudiants. Inscrits dans un cursus mode général, ils pourront se spécialiser plus tard, s’ils le souhaitent. Satisfaite de ses deux visites « fabuleuses » menées par des professionnels « très pédagogues », Céline a pris contact auprès des entreprises pour des visites ou visioconférences. « Je vais essayer d’inclure certaines entreprises dans mon programme pédagogique avec mes étudiants. J’essaie de les sensibiliser à cette matière cuir, car, dans la région, c’est important, et en France, il y a une redynamisation de la filière. Et le cuir, comme tout ce qui est haute couture, fait un peu pétiller les yeux. Les étudiants y sont sensibles. Ils apprécient le beau vêtement, les belles entreprises ».

Une tannerie comme AT productions l’intéresse pour « ses nouvelles techniques, la fabrication du cuir biodégradable ». « On sensibilise énormément les étudiants au développement durable, à tout ce qui concerne le traitement du cuir, les produits chimiques, la fin de vie du cuir. Et je trouve dommage que l’entreprise AT Productions peine à trouver un repreneur. Le dirigeant arrive en fin de carrière, cependant c’est une entreprise qui a du potentiel. Ça m’a un peu chagrinée. Montrer aux jeunes les différents métiers qui existent est important. Ce sont eux qui vont dynamiser tout cela. D’ailleurs, j’ai été agréablement surprise du nombre de jeunes personnes qui travaillaient à mégisserie La Molière. » Un sentiment partagé par David, professionnel du cuir au sein d’une marque de prêt-à-porter, venu pour le plaisir de la découverte : « Ca serait bien d’ouvrir ces visites d’entreprises aux jeunes et leur faire découvrir ces métiers qui recrutent et qui pourraient passionner des élèves. »

A la mégisserie Joqueviel & Cathala à Graulhet
A la Mégisserie Joqueviel & Cathala à Graulhet

Une veille de la filière pour les enseignants spécialisés

« Graulhet, le cuir dans la peau », un rendez-vous annuel devenu incontournable pour Ingrid, depuis qu’elle l’a découvert, par hasard sur le web, en 2017, alors étudiante dans la filière cuir. Ancienne élève accomplie du Lycée professionnel de la Cité Scolaire de Mazamet – un établissement de référence dans le sud de la France avec son tout nouveau BTS maroquinerie -, elle y enseigne aujourd’hui les trois niveaux (CAP, Bac Pro et BTS). Elle ne se lasse pas de visiter les entreprises graulhetoises où elle se rend avec ses élèves, deux à trois fois par an. Cette année, elle est venue avec sa belle-mère, novice en la matière. Autant dire que Ingrid aussi a le cuir dans la peau !

A chaque fois, ces visites d’entreprises sont formatrices : il s’agit de rester au contact de la vraie vie des professionnels du cuir. « Se tenir informée des dernières fabrications dans les ateliers, de leurs dernières techniques, est clé. Se rendre compte de leur passion aussi. J’adore la maroquinerie, je ne pense pas changer de métier, je suis très manuelle, minutieuse, patiente, trois critères indispensables du métier de maroquinier, et qui me correspondent. Quand  Philippe Serres mène la visite de son entreprise, on apprend de sa passion et de ses partages d’astuces de professionnel. Ces rencontres animent ma passion pour la maroquinerie. » Et confie-t-elle, un brin amusé : « Il y a des avis sur la maroquinerie, sur la question du style, de la forme, c’est un peu comme sur une politique, et c’est bien de les prendre en compte. »  Sans oublier la veille technologique qui permet au lycée professionnel d’adapter son équipement et outillage en fonction de ce qui est observé sur le terrain pour une prise optimale avec le réel au sein de l’établissement, également en lien avec nos fleurons du luxe qui embauchent…

Des visites d’entreprises pédagogiques qui réjouissent aussi ses étudiants au vu des propos rapportés par l’enseignante : « Non mais c’est trop beau madame ! Ils sont très fans à chaque fois. ‘Ah je ne savais pas qu’on pouvait faire ça comme ça…  Et puis, parfois, ils s’interrogent, perplexes : ‘mais c’est qu’une famille ? Ils sont tout seuls ? Parce qu’ils découvrent aussi des entreprises familiales qui gèrent tout, à deux ou trois. Et ils s’emballent : ‘mais, en fait, on peut le faire !’ Le métier leur semble alors plus accessible. Ils sont toujours fascinés, d’autant plus que les entreprises en maroquinerie travaillent souvent pour le monde du luxe. »

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Mégisserie La Molière à Graulhet photo : Margot Durand / La Molière
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Bandit Manchot à Graulhet / photo : Olivier Octobre
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Les Ateliers Fourès à Graulhet / photo : Studios H2G

Un levier pour des visiteurs en reconversion professionnelle

De son côté, Judith, habitant à Réalmont, à une vingtaine de kilomètres de Graulhet, prend à bras le corps son projet de reconversion professionnelle, et, dans la foulée de ses visites d’entreprises, a déposé cv et lettres de motivation, effectué un stage PMSMP prérequis (« périodes de mise en situation en milieu professionnel » via Pôle Emploi) chez un maroquinier graulhetois.  « Mes visites m’ont incitée à passer à la prochaine étape : faire un stage où pouvoir couper, coudre peut-être, assembler, coller…J’ai imprimé des cv, des lettres de motivation,  des books,  et été acceptée en stage PMSMP dans une maroquinerie où je pourrai faire, et non juste regarder ». Pendant son stage à la maroquinerie La Fabrique, elle a pu découvrir le travail de teinture, du brulage, et de l’encollage. « Les quatre jours se sont bien passés. Le stage m’a permis de voir que j’étais assez à l’aise apparemment, que je ne me débrouillais pas trop mal d’après ma tutrice de stage, que j’avais un bon rythme ; ça m’a confortée dans l’idée que je ne serais peut-être pas trop mauvaise dans ce milieu-là. Comme cela m’a plu, j’ai eu envie de me renseigner sur les formation en établissement ou en entreprise. » Pour Judith, cela dépendra de la possibilité de trouver une formation financée ou de combiner une formation avec un travail alimentaire qu’elle recherche activement.

A l’origine, un flyer l’a convaincue de venir à ces journées portes ouvertes : « Je me suis dit, ça tombe bien, je veux peut-être me convertir dans le cuir, donc allons-y ! » Lasse de son travail de peintre dans le secteur du bâtiment, elle nourrit ce projet de reconversion professionnelle depuis trois ans. « J’ai toujours été très créative, manuelle, tournée vers l’art. Peut-être qu’un métier dans l’artisanat d’art pourrait mieux me convenir. J’ai tout d’abord songé à plusieurs secteurs comme la bijouterie, la vannerie etc. Etant donné mon souhait de trouver un emploi stable pour sortir de l’insécurité dans laquelle je suis depuis huit ans, ma conseillère Pôle Emploi m’a orientée vers les métiers dans l’artisanat d’art, spécifiquement ceux du cuir ou de la poterie qui embauchent dans la région. Elle a conseillé de faire des stages PMSMP. J’ai pensé que ces journées portes ouvertes permettraient donc de découvrir la variété des métiers du cuir dans les mégisseries et les maroquineries, les différents postes, les manières de travailler, le type de structure, petites ou plus grosses, et voir si je pouvais me projeter dans ce type d’entreprises ».

Pour son projet professionnel, les maroquiniers ont retenu son attention. « J’ai senti que c’était peut-être ce qui me plairait : joindre le travail du cuir à la fabrication d’un objet ».  Et de préciser ce qu’elle a particulièrement apprécié, une fois à l’atelier, en stage : « C’est un peu tout qui m’a plu : la matière, être dans un atelier, assise à faire mon petit truc avec mes mains, quelque chose que j’aime faire avec ma pratique du crochet, fabriquer quelque chose d’utile, et j’aime bien l’idée de travailler en entreprise avec des personnes, dans une équipe, en coordination, car je n’ai plus envie de travailler seule ».

Seule, c’est ainsi que Séverine s’imagine, avec bonheur, dans son atelier, à l’avenir. La donne est bien différente. La première fois qu’elle entendit parler, par le bouche à oreille, de « Graulhet, le cuir dans la peau », c’était en 2020. En Haute Garonne, à une cinquantaine de kilomètres de Graulhet, elle travaille alors pour une collectivité territoriale à plein temps. Et, puis, récemment, elle a « franchi le cap». Dans ce contexte d’évolution professionnelle, les journées portes ouvertes l’intéressent d’autant plus qu’elle débute une formation en Cap Maroquinerie, en candidat libre, à Saint Affrique, dans l’Aveyron. Pas pour devenir salariée ou se mettre à son compte de suite. Elle mise sur une « reconversion partielle » où conjuguer son emploi salarié sécurisant, à temps partiel, et son projet « à côté » de monter un atelier. « Créer ma marque, mais tout doux. Parce que j’ai bien conscience que c’est loin d’être facile ; en ce moment, je suis encadrée, mais après je serai seule. Ça faisait un moment que ça me trottait. J’ai tenté de coup, et je ferai mes huit semaines de formation en alternance avec un stage à Graulhet. J’ai ma convention de stage signée. C’est intimidant ».

Cette année, après trois semaines de formation en montage d’articles, Séverine « regarde particulièrement des choses ». « Le cuir, j’adore depuis que je suis gamine. Il y a l’odeur du cuir, sa texture, et la matière qui se patine et se bonifie avec le temps, je trouve ça très beau. » Même si lors d’une précédente formation de cinq jours, en 2017, en Haute Vienne, elle avait eu l’occasion de visiter une mégisserie et une tannerie, elle insiste sur la spécificité graulhetoise : « L’intérêt des journées portes ouvertes de la filière cuir, à Graulhet, réside dans la variété des entreprises qui ouvrent leurs portes, car cela ne se limite pas à des mégisseries, à des manufactures. Je suis curieuse de découvrir aussi l’imprimerie Escourbiac, par exemple. Il y a d’autres secteurs liés au cuir très intéressants à découvrir. »

→ la suite, ici :  Destination Le Tarn : retour sur les visites d’entreprises à Graulhet. Retour aux origines (3/3)

rédigé par Stéphanie Bui 

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NOTES :

L’Office du Tourisme La Toscane Occitane

Le Conseil National du Cuir 

Le Conseil Technique du Cuir

Reportage réalisé en partenariat avec l'Office de Tourisme La Toscane Occitane en accord avec la ligne éditoriale de The Daily Couture qui valorise les savoir-faire et ses protagonistes.
Depuis 2011, à la demande, the Daily Couture organise des immersions dans les Ateliers Haute Couture à Paris œuvrant pour les plus grandes maisons de mode.

Pour nous envoyer votre demande : info@thedailycouture.com 

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