PARIS-TAÏWAN : DES “OBJETS MÉTIS” ET ÉCOLOS



Haut lieu de la culture du bambou, Taïwan accueille le collectif Hand in Hand en vue de renouveler la création artisanale locale du bambou. Au programme : échanges de savoir-faire, mais aussi « humains et culturels » entre artisans et designers d’horizons distincts.

Rencontre avec Patricio Sarmiento, le designer fondateur et directeur artistique de Hand in Hand. Pour the Daily Couture, il confie son approche du design incarné par le collectif œuvrant entre Paris et Taïwan. Une créativité artisanale renouvelée par les échanges de savoir-faire, mais aussi « humains et culturels » entre artisans et designers d’horizons distincts. Une alchimie créatrice d’ “objets métis”. Une belle initiative présente lors la deuxième édition, à Paris, de la Biennale internationale des métiers d’art, le Salon Révélations au Grand Palais.

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Pourquoi donc favoriser l’échange entre designers et artisans ?, s’offusqueront certains artisans d’art en France. Les artisans sont bien capables d’inscrire seuls leurs créations artisanales dans la création contemporaine. Au même titre qu’un artiste. Le débat sur les vocables qui agitait déjà la première édition du Salon Révélations s’invitait dans la seconde. Or cette quête de reconnaissance du statut artistique des artisans d’art en France dévalorisés depuis si longtemps dans notre pays est vécue bien différemment dans d’autres contextes encourageant la création artisanale contemporaine comme à Taïwan. Sur l’île, au contraire, la rencontre entre cultures et disciplines distinctes est encouragée car, selon le collectif Hand in Hand, elle permet d’ « aller au-delà de sa propre zone de confort, en expérimentant et en cherchant toujours de nouvelles possibilités, sans avoir peur des conventions mais dans le respect des traditions ». De quoi remédier à la disparition redoutée de savoir-faire locaux artisanaux.

Là ou tout a commencé, en 2009, au Salon Maison&Objet.

« Tout a commencé grâce à une rencontre à Maison & Objet en 2009, c’était la première fois que gouvernement taïwanais présentait l’artisanat local sur le salon grâce à l’initiative du NTCRI (National Taiwan Craft Research and Development Institute), et ce que j’ai vu, se rappelle Patricio Sarmiento, c’est vraiment la prouesse de l’artisanat taïwanais. J’ai découvert les premiers prototypes de design initiés par le projet taïwanais Yii qui avait mis en relation seize designers taïwanais et des maitres artisans taïwanais pour créer des objets design. C’est là que j’avais notamment remarqué la chaise 43, entièrement conçue en bambou, signée par le designer Konstantin Gricic et l’artisan Kao-ming Chen. J’ai adoré ce que j’ai vu, et me suis demandé comment collaborer, participer à ce projet initié par le NTCRI. A la base, je suis professeur au Paris College of Art à Paris. J’aime beaucoup la recherche, surtout la matière. A ce moment-là, il y a eu un très bon feeling avec les gens de l’institut. Et j’étais invité à Taïwan ». Cette découverte par le designer de l’artisanat taiwanais s’est faite naturellement simplement.

C’est à Taïwan même que Patricio Sarmiento découvre que « le bambou est bien plus qu’un matériau, c’est une culture. » Écologique, résistant, souple, imputrescible, comestible, qui peut être sculpté, tressé, teinté, fumé, le bambou, matière aux milles vertus, n’est qu’un des matériaux de l’artisanat taïwanais valorisés et renouvelés avec les designers et artisans participant au collectif de Hand in Hand. D’origine équatorienne, diplômé de la Parsons School of Design à New York, de l’Institut Français de la Mode à Paris, désormais professeur au Paris College of Art dans la capitale, Patricio Sarmiento est le premier étonné de la situation : le voilà devenu le représentant du design français auprès des Taïwanais quand il n’enseigne pas la mode à Paris.

Parti comme un touriste, le designer parisien découvrit l’île par son artisanat local, y compris dans des coins très reculés où se perpétuent des savoir-faire très spécifiques. « En fait, explique-t-il, les organisateurs voulaient voir ma réaction en tant que designer imprégné d’une tradition du design européen. Ils voulaient avoir mon avis sur la création artisanale locale. A un moment où nous étions à l’Institut, se souvient-il, en entrant dans un amphithéâtre pour faire une petite présentation, m’attendaient là des artisans, en file d’attente, chacun avec leur objet à me présenter. On attendait mon avis sur chaque création ». Le designer se souvient d’ « une situation un peu embarrassante parce que qui suis-je pour donner mon avis, faire un critique sur un objet doté d’un sens culturel que je ne connaissais pas ? J’ai découvert l’artisanat taïwanais par hasard à Maison&Objet, je ne connaissais pas du tout la culture. C’était une belle expérience, mais je leur disais que c’était difficile pour moi étant donné que je ne connaissais pas la culture ni le marché auquel s’adressaient les créations que je voyais etc. Et finalement, on m’a demandé de créer pour eux. Je me suis retrouvé au siège social de l’Institut. En fait, à l’origine, il y avait une volonté du directeur de le NTCRI d’ouvrir les portes aux savoir-faire taïwanais avec cette idée d’échanges avec l’extérieur. » En amenant des designers et artisans taïwanais à se rencontrer, insiste le designer, le NTCRI a donné une autre dimension à l’artisanat et au design taïwanais. Avec ce projet, insiste-t-il, l’institut a fait évoluer la mentalité du design taïwanais originellement cantonné au design industriel.

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« Et quand je suis arrivé à Taïwan où l’on m’a proposé de travailler avec la NTCRI, j’ai voulu créer un collectif afin de préserver l’indépendance de l’initiative »

Porté par le NTCRI, un organisme gouvernemental et donc dépendant des changements politiques, le projet Yii commençait à être plus ou moins laissé de côté par le nouveau gouvernement. Être la bonne personne, au bon endroit et au bon moment, c’est arrivé au designer : « Et quand je suis arrivé à Taïwan où l’on m’a proposé de travailler avec le NTCRI, j’ai voulu créer une structure non gouvernementale afin de préserver l’indépendance de l’initiative » qui reprendrait à sa façon le projet Yii, explique-t-il, tout en regrettant la dépendance actuelle au gouvernement pour la réalisation des résidences initiées par Hand in Hand. Le fondateur et directeur artistique aimerait désormais travailler aussi avec une fondation ou une organisation à même de soutenir le collectif en apportant des fonds en vue de pérenniser ces rencontres fructueuses permettant le renouveau de l’artisanat local.

Ces rencontres, le designer explique, vont au-delà du travail, du feeling, il s’agit de voir la personnalité du designer.

« Les résidences, ce ne sont pas que des échanges de savoir-faire, ce sont de vrais échanges humains et culturels. Si on n’est pas prêt à donner, si on n’est pas généreux, je le vois tout de suite. C’est mal barré, et j’arrête tout de suite. Les designers qui participent à notre initiative ont un esprit de partage. Jusqu’à présent, tout s’est bien passé », Patricio Sarmiento

N’ayant pas pu se réaliser cette année, les résidences ont laissé place aux workshops, plus faciles à organiser. Un designer ou un professeur français donne un workshop permettant d’aider les artisans à créer d’après un thème défini par le directeur artistique en vue de préserver la cohérence de la collection d’objets crées in fine.

Même si l’avantage de Hand in Hand est de travailler avec le NTCRI, institut très prestigieux qui inspire confiance auprès des artisans, le travail peut s’avérer un défi. Par exemple, explique le designer : « quand j’ai demandé aux artisans de tisser sur le cuir, ils étaient réticents. Maintenant, ils sont contents et commencent à décliner des créations selon cette idée. »

A Révélations, seul le travail du bambou est présenté, mais Hand in Hand travaille avec beaucoup d’autres matériaux comme la céramique, le métal, la pierre, la laque, le bois. « Comme on m’a demandé de représenter l’artisanat taïwanais avec Hand in Hand, explique Patricio Sarmiento, je voulais éviter de tomber dans la cacophonie de l’objet. Pour avoir un impact plus fort aussi, j’ai décidé de présenter le travail de création artisanale réalisée avec le bambou.

« On peut s’asseoir sur une chaise en bambou, devant une table en bambou sur laquelle seront posées une assiette en bambou et une cuillère en bambou avec laquelle on pourra manger du bambou ! C’est une matière extraordinaire. On peut tout faire avec », Patricio Sarmiento

Le bambou, il en est encore question avec un projet en cours de développement : une collaboration entre une communauté aborigène et Hand in Hand motivé par la difficulté pour reproduire de petits objets avec ce matériau. « Comme nous travaillons avec des artisans d’art, explique le designer, ils n’ont pas intérêt à créer une industrie, ils ne sont pas intéressés par la production de petits objets que j’aimerais commercialiser. J’ai cherché, à Taïwan, des personnes intéressées par la production artisanale de ces objets avec l’idée de développement local. Finalement, c’est le NTCRI qui nous a mis en relation avec une communauté aborigène souhaitant travailler la matière naturelle et vendre des objets à partir du travail avec la forêt de bambou présente sur son territoire ».  A ce jour, un centre de formation voit le jour à l’attention de cette communauté aborigène pour développer la production de ces objets artisanaux en bambou qui, se réjouit Patricio Sarmiento, a rencontré sa clientèle au Salon Révélations. Une production à la demande ainsi que des petites séries sont envisagées.

Enfin, l’expérience du designer en tant qu’enseignant depuis huit ans explique sans doute aussi la qualité d’écoute et des échanges signant la réussite des rencontres entre artisans et designers. « Disons que j’enseigne en posant les bonnes questions aux élèves, confie le designer enseignant, je ne suis pas un prof qui vais dire ça, ça doit être fait comme ça etc. Je pose des questions pour que les gens apportent leurs propres réponses. C’est comme ça que je fais avancer les choses. Chaque fois qu’on me montre des choses, je dis pourquoi est-ce que tu fais ça ? Quel est le cadre ? Le propos ? Quelle est l’histoire ? On doit raconter une histoire avec un objet. C’est quelque chose que j’ai appris à la Parsons School of Design à New York et à l’Institut Français de la Mode à Paris. Et c’est ce que je demande aux artisans, c’est un vrai défi pour eux. Je donne un thème, et ça aide vraiment. »

Un exemple de thème ? Que chaque artisan amène un petit objet qui leur était très cher et conçoive une boîte pour transporter cet objet. Sur le Salon Révélations, les écrins pour stylo ou lunettes étaient devenus de vraies petites merveilles !

Site de hand in hand

 

 

 

 

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