Un hymne à la femme orientale
Un grand nom de la couture, Christian Lacroix, pour attirer le regard des medias qui ont toujours ignoré cet art vestimentaire séculaire, désormais en voie de disparition faute de médiatisation avant tout, regrette l’historienne. L’usage du vêtement de la mode mondialisée, le jean, est la seconde cause de cette disparition amorcée dès les années 60, explique-t-elle, avec l’apparition aussi des tissus de synthèse, des machines et la disparition de la teinture végétale – la production de l’indigo non plus naturelle mais désormais synthétique et largement répandue dans le monde arabe sert aujourd’hui à teindre le jean.
Enfin, l’apparition du vêtement sombre et austère, de « la tenue islamique », zayy islâmi ou « habit sectaire » qui couvre complètement le corps a remplacé le costume traditionnel et fait oublier la richesse de ce savoir-faire de la couture — de la broderie — et la femme désormais dissimulée derrière le voile, déplorent la collectionneuse et Hana Chiniac, responsable de l’unité patrimoniale Afrique du Nord et Proche-Orient au Musée du quai Branly, et commissaire de l’exposition, ainsi que Véronique Rieffel, l’auteure de Islamania, De l’Alhambra à la burqa, histoire d’une fascination artistique, « un ouvrage entre essai et livre d’art, un contre-dictionnaire des idées reçues sur l’Islam. »
Bethléem, « le Paris de la Palestine »
Née en Palestine et vivant désormais en Jordanie, Widad Kawar s’est principalement intéressée au savoir-faire de la couture de ces deux pays, tout en élargissant sa curiosité aux pays voisins pour mieux comparer les productions de vêtements traditionnels de la région du « Croissant fertile », du nord de la Syrie au désert du Sinaï.
A Bethléem, Widad Kawar est bercée, dès son enfance, par le savoir-faire de la broderie qui fait la réputation de la ville. « Ce Paris de la Palestine », comme l’appellent ses habitants, cultive alors la tradition de la broderie fait main et le tissage. La ville « donne le ton en matière de mode dans les villages. »* Au début du XXème siècle, la robe de Bethléem est en effet qualifiée de malak qui signifie « royal », parce qu’elle est tellement somptueuse sur le plan des teintes et des broderies qu’elle est décrite comme la « reine » des robes de toute la Palestine, explique-t-elle. Elle est aujourd’hui une pièce rare pour les collectionneurs, car les femmes gardaient généralement la plus belle pour se faire enterrer avec. En 1920, confectionner la robe malak pour des habitantes d’autres parties de la Palestine était devenu une activité lucrative. Les tisserands, les couturiers et brodeurs de Bethléem devinrent réputés. Même si l’interdépendance entre les grandes villes de la Palestine, les zones rurales environnantes avec l’industrie textile syrienne fut brisée par la guerre de 1948 et par l’occupation de la Palestine qui s’ensuivit, explique Widad Kawar, les costumes sont restés un symbole de la culture palestinienne et de la créativité des femmes.
Des broderies qui racontent des histoires de femmes
Le savoir-faire de broderie traditionnelle sur les robes se transmet de génération en génération dans les villages de la Palestine, explique Margarita Skinner*, responsable de missions humanitaires au Proche-Orient. Les motifs se perpétuaient de mère en fille, chaque génération les modifiant légèrement et en renouvelant l’inspiration. « Elles peuvent se lire comme un livre » car chaque village a sa couleur et ses motifs qui portent un nom. Les motifs vont aussi renseigner les autres femmes de l’origine géographique et du statut social de celle qui les porte (jeune fille, femme mariée, veuve…), précise Christophe Moulherat*, Chargée de la conservation préventive au Musée du quai Branly. Et les noms eux-mêmes évoquent une histoire. Parmi les plus courants : les dessins renvoyant à la faune : de l’oiseau de paradis à l’œil de la vache ; les champs et les jardins sont évoqués par les fleurs d’orangers, pois chiches et raisins secs. On retient aussi 15 modes de représentations et de noms pour la lune et les étoiles, tandis que le palmier est un symbole de longévité. Les régions en Palestine vont ensuite développer leur propre style. (photo : Femme Bedouine de la Tribu des Tiyaha, Musée du quai Branly)
Seules les femmes brodent. Elles commencent leur apprentissage vers six ans en vue de maîtriser l’art de la broderie nécessaire à la confection de leur trousseau avant leur mariage. Elles doivent maîtriser les différentes techniques de broderie, mais surtout devenir familières avec le répertoire des motifs locaux et leur disposition dans les robes, explique Christophe Moulherat. Les mères font des costumes pour leur fille, les filles de petites pièces pour la maison. A l’occasion d’un mariage ou d’une naissance, une nouvelle robe est fabriquée par les aînées. La confection de la robe de mariée pouvait prendre plusieurs années, explique Christophe Moulherat, souvent à cause du prix du fils de soie.
Le fil à broder est le plus souvent en coton, parfois en soie, rarement en laine. Fils synthétiques, filés d’argent ou d’argent doré sont également utilisés. Les points plats, noués à boucle sont utilisés. Les points couchés ou couchure consistent le plus souvent à fixer un filé d’or ou d’argent sur le tissu par un point placé à intervalles réguliers.
Préserver la mémoire de ces robes et des vies de ces femmes
Widad Kawar s’intéresse, dès les années 50, à ces vêtements traditionnels qu’elle collectionne par intermittence. Puis vint 1967 — un tournant dans l’histoire de la région et pour la collectionneuse désormais à l’affût de ces vêtements dispersés, comme le sont dorénavant les femmes dispersées dans des camps de réfugiés. La vie de village n’est plus.
Poussée par la volonté de préserver ces vêtements et l’histoire de chacune des femmes ayant réalisé les broderies, avec amour, en vue de la préparation du vêtement de cérémonie, Widad Kawar parcourt les camps de réfugiés, achète les robes aux femmes. L’accueil est enthousiaste. Les ex-villageoises devenues réfugiées viennent d’elles-mêmes vers Widad Kawar vendre leurs robes devenues inutiles dans les camps, et ravies de savoir que leurs précieux vêtements et l’histoire de leur vie seront préservés. Les robes brodées dès l’enfance perdureront dans le temps. Widad Kawar sait tout de chaque robe, de la femme qui l’a faite et son histoire.
Cette histoire, elle a marqué Hana Chidiac, en 2007, alors qu’elle se rendait à Aman pour rencontrer Widad Kawar :
« Une palestinienne d’un certain âge s’est présentée chez elle et lui a offert d’acquérir sa robe de fête traditionnelle qu’elle ne pouvait désormais plus porter car selon les règles de l’islam, une femme pieuse ne doit pas sortir habillée de vêtements colorés. C’était sa robe de mariée qu’elle avait brodée.»
Dans ce contexte, la collectionneuse poursuit son exploration des questions identitaires de la femme orientale à travers l’usage du vêtement traditionnel en sensibilisant aussi le public, par ses articles et livres, à ces histoires de femmes et à leur savoir-faire de la couture, « ces artistes sans le savoir ». Threads of identity est son dernier livre.
Ces questions identitaires de la femme orientale, récurrentes pour les regards étrangers, furent aussi explorées par les créateurs de mode en Occident désireux de traiter de la thématique de la femme voilée, rappelle Véronique Rieffel, en citant les défilés de mode de Hussein Chalayan qui font évoluer côte à côte des femmes en voile intégral et des femmes intégralement nues, et ceux de l’artiste plasticienne Majida Khattari avec ses défilés-performances intitulés VIP (Voile Islamique Parisien) abordant l’art contemporain avec les codes de la haute-couture pour mieux mettre en scène la complexité du débat entre ces deux extrêmes, explique l’artiste, d’un côté la femme voilée, de l’autre « la femme poupée ».
L’Institut des Cultures d’Islam
Islamania est plus qu’un livre, c’est un programme de sensibilisation aux cultures d’Islam avec des conférences et une exposition de Martin Parr sur le quartier parisien de la Goutte d’Or, présentée jusqu’au 2 juillet. Son regard malicieux et anglais — loin des polémiques françaises sur l’identité française et l’immigration — ont motivé le choix du photographe pour ce projet. Les photos restent plus sages et moins grinçantes qu’à l’accoutumé avec des portraits d’habitants mis en scène dans leur quartier où l’institut est situé. Un lieu très agréable pour s’immerger dans ce coin de Paris dont on entend plus parler qu’on le visite…
Quelques ré-interprétations du vêtement oriental en Europe pour le plaisir des yeux !
Dans son livre, Véronique Rieffel aborde l’influence du vêtement oriental notamment pour les couturiers qui cherchent à sortir du vêtement occidental masculin trop uniforme. Dans son livre, l’auteure fait référence à des couturiers comme Lacroix ou Gaultier qui fut le commissaire de l’exposition Men In Skirts au Victoria&Albert Museum à Londres et au Metropolitan à New York ou encore à Paul Poiret, costumier pour la pièce de théâtre Le Minaret en 1913. Ci-dessous, des pièces réinterprétant le sarouel et le caftan pour la femme avec la collection automne/hiver 09 de Givenchy et la collection printemps/été 2011 de Missoni, sans oublier les pièces de Paul Poiret citées par Véronique Rieffel. Le couturier fut si marqué par ces costumes qu’il en fit, plus tard, la thématique d’une fabuleuse soirée dite persane.
Par Stéphanie Bui publié le 9 mai 2011 NOTES :
Le site de l’exposition L’Orient des Femmes vu par Christian Lacroix, Musée du quai Branly
Articles de Widad Kawar, Christophe Moulherat, Margarita Skinner dans Le catalogue de l’exposition L’Orient des Femmes vu par Christian Lacroix, Musée du quai Branly
Interview vidéo de la commissaire de l’exposition, Hana Chidiac par Nicole Salez
Le site de l’Institut des Cultures d’Islam à Paris
Islamania, par Véronique Rieffel / Beaux Arts Editions & Institut des Cultures d’Islam
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