─ Paris, juillet 2014. Semaine de la Haute Couture. Stéphane Rolland Haute Couture Automne Hiver 2014 – 2015, Cinéma Elysées Biarritz.
Dans quelle mesure le designer peut-il s’exprimer à travers le système médiatique de la mode ? A la question récurrente triturant les designers pris dans la folle spirale de l’industrialisation de la mode, Stéphane Rolland a tranché. Le couturier décide de dire non au systématique sacro-saint rendez-vous : le défilé. A la place, un film et une présentation sur les mannequins stockman, une première pour le créateur. « A un moment, j’avais l’impression de me robotiser, j’ai vraiment éprouvé le besoin d’aller voir ailleurs, de créer avec plus de liberté. En tant que créateur, on a besoin de s’exprimer de différentes manières », explique Stéphane Rolland, à la fin de la présentation de sa collection Automne Hiver 2014 – 2015. Cerise sur le gâteau : le rendez-vous a permis à toute l’audience de découvrir de près les robes haute couture !
Un court métrage comme moyen d’expression esthétique et « pas un catalogue de vente »
Sa décision ? Alterner un film et un show par an, car il est question pour le designer de « s’oxygéner ». Il mentionne son besoin de « surtout s’enrichir à travers plein de rencontres. C’est formidable ! J’ai l’impression d’apprendre comme un enfant tous les jours, alors qu’avec les présentations habituelles, j’avais l’impression de piétiner, et là j’ai d’autres impulsions créatives. » Faire une œuvre esthétique avant tout, et prendre le risque de bousculer les attentes des clientes, de la presse en rendant le fameux sitting du défilé obsolète. Avec courage. « Je ne savais pas comment les gens allaient réagir, mais quand une démarche est sincère, les gens suivent. » Avec humilité, le couturier souligne les films réalisés de tout temps par des designers et mentionne plutôt le besoin vital qui le titillait de créer autrement. « Cela fait longtemps que j’ai envie de créer à travers le cinéma, la caméra, et de faire un film pour présenter la mode, mes créations. C’est une manière de me sentir un peu plus libre. » Et non une manière de questionner le système de la mode comme il aurait pu le faire ou comme d’autres créateurs l’ont fait. Non, le couturier n’a pas cassé les codes de la mode, insiste-t-il, mais les siens. A ce titre, l’excellent documentaire « Antifashion » retraçant l’histoire de designers ayant fait un pied de nez au système de la mode à un moment donné, diffusé sur Arte pendant la semaine des collections, est passionnant.
Avec L’Echappée, Stéphane Rolland casse ses codes afin d’offrir, autrement, son regard glamour qui a toujours habité sa haute couture. Réalisé par Diane Sagnier, le film captive la divine Nieves Alvarez en Femme Fatale face à un Jalil Lespert ; les deux protagonistes s’adonnent au jeu de la séduction, un cache-cache des plus glamours. Seules dix des vingt pièces de la collection haute couture sont portées par Nieves Alvarez. Les deux stars sont le mannequin et les robes comme révélatrices de personnalité, c’est « une belle union » entre les deux. Hors de question pour Stéphane Rolland de faire de son film « un catalogue de vente » en s’obligeant à filmer toutes les robes. « Quand vous voyez des heures et des heures de travail passer devant vous en trois secondes comme une avalanche, un travail, qui, parfois, ne peut être capté, comme prévu, par la camera incapable de retenir le plan espéré car le mannequin bouge, fait telle geste à tel moment cachant tel aspect de la pièce… Combien de fois me suis-je mordu les doigts en me disant : « pourquoi a-t-elle bougé à ce moment-là ? Pourquoi le caméraman n’a-t-il pas filmé de telle façon etc. ? Avec mon film, j’ai montré ce que je voulais. » Vous pouvez regarder le film L’Échappée ici.
En prendre plein les yeux en découvrant les robes haute couture et l’artisanat de la mode… de près !
Le film fut suivi d’une présentation des pièces sur les mannequins stockman, ce qui permit, contrairement au défilé de mode ou même au film de s’attarder sur chaque modèle et d’en apprécier les détails, fruit du travail des artisans. Ce que la présentation perd alors en glamour, elle le gagne en pertinence : nous est donnée l’occasion d’apprécier la haute couture comme expression d’un artisanat d’art exigeant qu’on l’observe de près pour en apprécier sa qualité. Autant dire un parti pris apprécié par the Daily Couture ! Cette présentation n’était pas qu’un break pour le couturier, mais pour l’audience aussi invitée à vivre autre chose qu’un évènement médiatique calibré obligé de viser l’acte stylistique grandiose pour les retombées visuelles, forcément lointaines d’une possible sensibilisation aux métiers d’art, au travail de la matière et du détail. Dans le système médiatico-visuel de la mode, quid de la différence entre des pièces fast fashion et slowmade confiées indifféremment à des stylistes, mannequins, et photographes de talents travaillant aussi bien pour la haute couture que la fast fashion ? Brouillage des codes pour un résultat stylistiquement irrésistible quel que soit le « produit » photoshoppé, d’une valeur de cent ou quelques centaines voire milliers d’euros… Dans un tel contexte, la bouffée d’air, c’était de pouvoir observer de près et longuement les modèles couture en présence du studio créatif et du couturier disponible pour partager leur travail.
Éduquer l’œil à la matière et à la couleur : une nécessité pour apprécier l’artisanat d’art
Nombre d’artisans reconnus pour leur expertise par les grandes maisons de monde ont toujours insisté, lors de nombreux entretiens avec the Daily Couture, sur le sempiternel manque de connaissance généralisé des savoir-faire dans notre société, regrettant la disparition d’un bon goût, d’un raffinement nécessitant une éducation de l’œil à la couleur et à la matière qui s’est perdue. Sans parler de la disparition de la maîtrise du dessin, pilier de tant de savoir-faire qu’un logiciel ne peut remplacer, seulement accompagner.
Il ne s’agit pas d’être nostalgique d’un période passée bien lointaine, mais de savoir distinguer le faux luxe du vrai, du moins la qualité de ce qui prétend l’être. Même si le luxe a autant de définitions que de singularités parmi nous, est-ce une raison pour se passer de la qualité pour ne penser qu’au style uniquement ? N’avez-vous donc pas déjà remarqué ces coutures mal finies voire ces fils qui pendouillent allègrement dans les vitrines des marques dites de luxe. Il y a quelques temps, un artisan brodeur pour la haute couture me faisait part de son agacement : un travail de couture mal réalisé et immortalisé en gros plan avec le visage d’une actrice dans un magazine de mode de renom ! Or, qui s’en rend compte si ce n’est un artisan ? Pas étonnant que nombre de savoir-faire disparaissent si la qualité reste reconnue de ses seuls experts et non plus des clients ni du public, ni même de la presse aussi spécialisée soit-elle… Le rouleau compresseur du système de la mode rend difficile de s’attarder à autre chose que l’image. La question de la fabrication reste taboue, confidentielle. Mais de moins en moins. Le besoin de transparence s’infiltre partout, y compris au cœur du management des groupes de luxe devant rendre des comptes aux actionnaires.
Se retrouver à proximité de ces robes haute couture après en avoir apprécié leur photogénie dans le premier film de Stéphane Rolland possédait donc cette vertu : apprécier une pièce slowmade réalisée par une équipe d’artisans hors pairs. Cerise sur le gâteau : grâce à la rencontre avec l’équipe du couturier, nous avons pu pénétrer un peu dans les coulisses de la haute couture ! On a pu apprécier une haute couture épousant parfaitement les formes du corps, sublimant les matières riches de précieux détails traditionnellement utilisés par la haute couture ou détournés pour l’occasion.
un travail d’équipe : studio créatif, atelier intégré et contribution des ateliers de haute couture indépendants
Car c’est un travail d’équipe, insistent en cœur Marie-France et Corinne, les deux assistantes de Stéphane Rolland pour la création. Plus précisément, ce sont elles qui réalisent les moulages sur le mannequin d’après les dessins du couturier. Trop souvent ignoré, le travail d’équipe n’a pas sa place dans l’univers médiatique de la mode préférant encenser le statut du designer devenu l’incarnation même d’une marque dont il représente l’image, comme l’illustre le très bon article, « La mode est un sport de combat » publié sur le blog de l’IFM. * Cette présentation avait l’avantage de permettre la rencontre avec l’équipe de l’atelier.
Pour cette collection automne hiver 2015, chaque modèle s’apparente à un tableau doté de son univers distinct. Cette collection très aérienne, très légère rappelait la faune et la flore avec des références aux fleurs et aux oiseaux façonnés dans l’organza, le velours, la mousseline, le crêpe satin et de soie, le gazar, le grain de poudre, la maille ou encore le jersey. Sans doute un clin d’œil à la liberté retrouvée du designer qui se sent pousser des ailes à présent ! Fil rouge de la collection, la notion de légèreté et de transparence fut évoquée par le body, l’une des pièces maitresses travaillées. Techniquement, expliquent Marie-France et Corinne, la difficulté résidait dans l’assemblage de matières stretchs et non stretchs, à savoir le métal, les plumes ou le velours, le tout à harmoniser avec le body. Il fallait que les robes tiennent sur cette matière élastique tout en s’assurant que la tension soit au rendez-vous : la matière devait suivre, en longueur et largeur, le mouvement du mannequin de chair.
A ces structures de robes se greffaient les détails inhérents à la spécificité de la haute couture traditionnelle dont la beauté réside dans la recherche textile et les finitions sans compromis. Un effet textile sans nom connu fut créé par l’une des stylistes, Céline, par ailleurs passionnée de recherche textile. « Elle est très douée », s’enthousiasment Marie-Christine et Corinne. « Ce qu’elle a créé est un travail de fou : elle a effiloché l’organza déjà si fin pour en faire des plumes ou ce qui ressemble à des cils d’oiseaux arrangés par elle-même d’une certaine façon. » La pièce textile est ensuite cousue à la robe : la voilà dotée d’une traîne aussi légère qu’un plumage ! L’imaginaire de la faune et la flore fut évoqué aussi par la contribution d’ateliers de haute couture indépendants aux expertises bien spécifiques : les lignes dorées — du métal brodé en fait, les plumes posées telles des ailes ou encore le volume de la robe fleur par la technique du flocage. Ces ateliers de haute couture complètent la vingtaine de personnes de l’atelier de Stéphane Rolland où tous travaillent ensemble. Car, concluent Marie-Christine et Corinne couturières de formation, « une fois leur travail fini, nous aidons les autres à l’atelier. » Un travail d’équipe, insistent-elles.
Notes :
« La mode est un sport de combat », publié sur le blog de l’IFM
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Des Parcours du Paris de la haute couture et du sur-mesure sont proposés par the Daily Couture. Pour les passionnés des savoir-faire des métiers de la mode et d’un Paris à découvrir, en toute convivialité, au fil de rencontres avec des créateurs artisans ou fournisseurs d’exception des maisons de mode ! Pour les informations, contactez-moi : stephanie@thedailycouture.com
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