Le Club ESSEC Luxe a réuni ses membres jeudi dernier lors d’une table-ronde consacrée aux marques émergentes dans le secteur du Luxe. Près de 100 personnes, ESSEC et extérieurs ont répondu présents et ont souligné la qualité des débats et de l’animation gérée par Olivier Coppermann. Par ailleurs, Claire Colas, la nouvelle responsable du Club ESSEC Luxe a rapidement présenté les dernières activités du Club et a annoncé la constitution d’une équipe de membres actifs, en vue de préparer un programme 2012 des manifestations, riche et passionnant. En attendant d’en savoir plus sur les projets à venir du Club Essec Luxe, partageons donc ce qu’il s’est dit lors de cette dernière table ronde de 2011 dont The Daily Couture, partenaire média de l’évènement, partage avec vous les points forts exprimés.
photos : Claire Colas, responsable du Club ESSEC Luxe et Olivier Coppermann, associé fondateur de OC & PY
Pour les intervenants de la dernière table ronde du Club ESSEC Luxe, il semblait nécessaire, au préalable, de revenir sur les spécificités des marques de luxe. Ensuite, il fut question d’évoquer le développement de ces jeunes marques dans le contexte de la filière française luxe et mode, désormais l’une des 12 filières stratégiques de l’industrie française. Alors qu’émergent des initiatives d’accompagnement des créateurs, reste encore aux jeunes pousses du luxe à éviter les écueils courants lors de l’amorçage de leurs entreprises.
La spécificité des produits de luxe : innovation, émotion
artisanat et/ou industrie
local et/ou mondial
Pour faire émerger une marque de luxe, encore faut-il lui reconnaître ses spécificités sur lesquelles les points de vue divergent excepté sur celui-ci : c’est la capacité créative qui donne le la.
Ensuite le produit de luxe doit exalter la créativité de savoir-faire artisanaux ou anciens, selon Michel Chevalier, professeur à Dauphine et consultant, et Jacques Carles, président du Centre du Luxe et de la création. Et à Daniel Piette, président de L Capital, de réfuter cette spécificité : « les plus grandes marques de prêt-à-porter dites de luxe sont des produits pour partie industriels, les grands fabricants de chaussures (et d’automobile) sont des chaussures fabriquées de façon industrielle sinon il y aurait longtemps qu’elles auraient déjà disparu. »
Cette industrialisation du luxe ne signifie pas pour autant, selon Daniel Piette, l’obligation pour une marque de luxe de s’internationaliser : elle peut rester locale, petite et choisir de se développer à l’international ultérieurement. Mieux, pourquoi partir à l’étranger alors que la grande part des clients du luxe est en France et en Italie ? 80% des créateurs qui échouent, cite-t-il, ont pensé qu’il faillait se déployer à l’international.
Pour Michel Chevalier, au contraire, la dernière spécificité réside dans la mondialisation d’un produit de luxe afin d’optimiser son pouvoir d’attraction après de sa clientèle forcément internationale. 30% des gens achètent des parfums hors de leurs pays de résidences, argumente-t-il. Et de citer des marques comme Ungaro devenue « une marque faible » faute d’internationalisation où la succès story des cravates Napolitano de Naples. En pratique, nuance-t-il, à partir du moment où le business est géré comme du luxe et que le consommateur le reconnaît comme tel, la marque le devient aussi.
Pour Jacques Carles, l’expansion de la marque de luxe vers l’international relève plutôt de la conséquence de sa gestion réussie. C’est surtout sa capacité d’intégration de l’innovation devant permettre d’« anticiper son temps », qui importe, tandis que pour Daniel Piette, ce sera sa capacité à créer une « charge émotionnelle » mythologique, historique ou autre. Selon cette logique, celui-ci souligne l’évolution du contexte démographique, des images et attentes des clients. Utiliser le mot « luxe », confie-t-il est même « embarrassant ». Et de citer des marques comme Isabelle Marant, Paul &Joe, Sandro ou Zadig & Voltaire ayant su créer cette émotion et la pérenniser auprès des clients.
photo : Daniel Piette*, président de L Capital (lvmh), Emilie Piette*, sous-directrice Mode, Luxe, Design, DGCIS, Olivier Coppermann, associé fondateur de CO & PY (*noms homonymes)
Remédier au manque d’expertise de la filière du luxe
Même si les initiatives gouvernementales se multiplient avec, par exemple, le fond Mode et Finances désormais doté de plus grands moyens financiers (10 millions d’euros) et élargi au secteur du design, Jacques Carles regrette « le déséquilibre complet » entre le secteur du luxe et les autres secteurs industriels qui, eux, bénéficient d’une grande expertise auprès des banques. Malgré une image forte, la filière du luxe reste « mal cernée » et pas aussi puissante que les autres industries. Et de contextualiser cette faiblesse française face aux investissements étrangers dans ce secteur, notamment par les BRIC : des marques de luxe étrangères vont émerger avec des créateurs de grande qualité, prévient-il. Le manque de business angels du secteur du luxe en France et en Europe et des fonds d’amorçage surtout pour la frange de 1 à 10 millions d’euros, a motivé la création du département Stratégie & Finance qui propose, depuis plus d’un an, les services de corporate finance et de conseil en management à ces entreprises au sein du Centre du Luxe et la création.
Parmi les initiatives récentes, Emilie Piette, sous-directrice mode, luxe, design de la DGCIS, présente la mise en place, en 2011, d’équipes spécialisées aux guichets des banques HSBC et de la Société Générale des Champs Elysées et formées aux enjeux du luxe. Les « jeunes entreprises de création » peuvent s’y faire conseiller et orienter vers des organismes comme OSEO ou les fédérations professionnelles. Les fédérations, CCE (conseillers du commerce extérieur) ou UBI France peuvent également financer en partie ou accompagner les jeunes entrepreneurs pour l’export. Ils proposent des roadshow. Sont également lancées des initiatives collectives fondées sur la possession d’un même savoir-faire d’excellence partagée par des marques de luxe. Ainsi avec l’Union Française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles, des créateurs rassemblés sous la marque « Joaillerie de France » vont monter une boutique commune pour jeunes créateurs aux Emirats Arabes Unis.
Face à ces difficultés exprimées et aux initiatives citées, Daniel Piette insiste au contraire sur la « bonne santé de l’industrie du luxe : elle fait rentrer des devises, crée des emplois en France et bénéficie d’une belle image à l’étranger ». « Ce qui me frappe, répond-il, on a l’air de vouloir faire croire que c’est plus difficile de se lancer dans l’industrie du luxe que dans une autre industrie, ce n’est pas vrai. Imaginez quelqu’un qui veut créer un yaourt ou un élevage de chiens, il aura autant de problème avec son banquier ».
photo : Fred Pinel, malletier de Pinel & Pinel, Michel Chevalier, professeur à Dauphine et consultant EIM Paris, Jacques Carles, président Centre du Luxe et de la création
La spécificité du créateur d’une marque du luxe
C’est un créateur comme un autre mais œuvrant dans une entreprise particulière exigeant de ses équipes de comprendre à minima l’esthétisme, s’accordent les intervenants. Daniel Piette insiste sur la « volonté inexpugnable » du créateur de réussir son affaire, mettant « le casting humain » au cœur de la réussite de l’entreprise qu’elle soit du luxe ou non et quelle que soit la qualité de ses produits et de son financement, ajoute-t-il. Et à Jacques Carles de malmener le cliché du créateur comme « artiste éthéré loin des réalités » : la réalité du business ? Il la connait. Comment en être autrement au vu des investissements conséquents et nécessaires à la création d’une collection ? Cela dit, pour créer une marque de luxe, il faut beaucoup de temps et de capitaux, toujours beaucoup plus que ceux estimés à l’origine.
Pour Emilie Piette, c’est surtout le manque de temps à long terme qui nécessite la création de « binôme » de créateur et dirigeant. C’est l’idéal, confirme Daniel Piette, mais très difficile à former car l’industrie de luxe, à l’image du monde du cinéma ou des médias, doit intégrer le management des émotions. Le créateur ne doit pas oublier ses « instincts créatifs », d’où le besoin de « l’innovation managériale».
A cet égard, le cheminement du malletier Fred Pinel illustre cette équation réussie et nécessaire entre créativité et business. Le créateur retrace son entrée dans le luxe par des accessoires pour fumeurs de cigares. Il a l’idée d’y introduire l’audace avec la couleur : un large éventail de coloris de croco pour des étuis à cigares. Sur les conseils d’un premier acheteur, il démarche le multimarque Colette. « Ca se tente », lui répond-on avec, à la clé, un seul étui en vente. Il se vend rapidement. Dans la foulée, Il propose des mini-briquets, le succès est immédiat. Un jour, Il parie alors sur cette nouvelle donne : la probable disparition de la vente des cigares en free taxe. Pourquoi ne pas prendre ce marché vacant en proposant ses accessoires pour fumeurs ? Deux mois de coups de fils quotidiens plusieurs fois par jour à la même personne avant de la rencontrer et signer un contrat, son « premier gros coup ». Un exemple de créateur, par ailleurs fils de commerçants et ancien publicitaire, doté d’un sens des affaires et d’une grande pugnacité — les qualités d’un créateur selon les intervenants.
Combattre les idées reçues : le rôle de la boutique et de la licence
Au souhait primordial des jeunes marques de luxe en joaillerie ou prêt-à-porter d’avoir leur boutique, Daniel Piette répond clairement : « c’est là où l’on meurt généralement ». Il faut réfléchir au marché et à sa taille. En France, la présence de grands magasins permet une visibilité sans l’investissement coûteux d’une boutique. De même, pour Emilie Piette, qui préconise la présence en grands magasins, l’ouverture d’une boutique en propre est « un pari risqué » obligeant de changer le business model de la jeune marque.
Ce risque, Fred Pinel, a décidé de le prendre. Pour développer son entreprise, il a soulevé des fonds, s’est associé à Laurent Fabre, ex Berluti (groupe LVMH) en Asie et choisit d’investir dans une boutique parisienne. Une partie de son capital vendu, il sait qu’il devra « faire des étincelles en peu de temps », il est attendu au tournant. Il fallait passer cette étape, selon lui, même s’il reconnait le potentiel d’internet lui ayant permis de réaliser, par exemple, une vente de 400 000 euros sans jamais avoir rencontré la cliente ravie. Mais la logistique d’un site de vente en ligne pose, in fine, le problème du coût de l’acheminement de produits à l’étranger. Ce qui n’est pas un problème pour une marque de luxe mondiale l’est pour une jeune marque locale. Il lui faut « des bases ».
N’oublions pas, insiste Michel Chevalier, l’avantage d’avoir sa boutique : elle permet aux marques de réellement comprendre les clients et proposer des produits en phase avec leurs attentes, ce qu’une distribution en grands magasins ne permet pas de cerner. Le rôle pédagogique de la gestion d’une boutique s’avère inégalable : le créateur a une deuxième chance, celle de réajuster son offre.
Enfin est décrié « le discours anti-licence ». Cette « maladie française », selon Michel Chevalier, a empêché le potentiel d’accélération de la notoriété et la visibilité des marques. « Quelles sont les marques de parfum qui ont été des succès et qui n’ont pas été à un moment ou un autre des licences. Aucune ». En l’absence de licence, toute une génération de marques s’est essoufflée comme Mugler, Alaia. Il conclut : c’est « un drame ». Aux marques émergentes de tirer les conséquences des propos des experts présents.
On repense alors à Fred Pinel, on revit avec lui son histoire. « J’en avais marre de mon métier de publicitaire, j’ai longtemps cherché… Un jour, je trouve une vieille valise dans le grenier poussiéreux de mes grands-parents, c’est une vraie révélation, c’est ça que j’aie envie faire. Je demande à mes grands-parents si je peux la récupérer ». Il la récupère, la démonte, en refait une autre et pense : « il y a un truc à faire. » N’est-ce pas là le début d’une histoire, la fameuse charge émotionnelle au cœur d’une marque du luxe ? On retient son nom : il s’appelle Fred Pinel, il a créé Pinel & Pinel, malletier. Sa toute première boutique ? Rue Royale. Que l’histoire continue !
NOTES :
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